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Alain le malin

On ne voit plus que lui sur le front du virus. Le conseiller fédéral Alain Berset a endossé sans frémir l’uniforme de général. En attendant la pelisse de bouc-émissaire?

Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée. C’est du moins ce que nous a longtemps fait croire la bonne vieille logique aristotélicienne. Aujourd’hui pourtant le doute s’installe. La faute à cette pandémie qui brouille tout, ne respecte rien, surtout pas nos vieilles habitudes ni nos saints préjugés. Et un peu au Conseil fédéral qui tâtonne, avance dans le brouillard, à force de pragmatisme au quotidien et de tir au jugé, chaque après-midi, en fonction de la statistique et de l’humeur des experts.

D’abord nous est annoncé que les commerces vont pouvoir rouvrir. Enfin pas tous, bien sûr. Certains oui, d’autres non. Les coiffeurs oui, les restaurants pas. Ce qui prouverait déjà que faire bonne figure est plus important, davantage de première nécessité, que faire bonne chère. Cette distorsion crée bien sûr des jalousies et attise des rancœurs.

La décision la plus controversée, celle qui a fait le plus hurler, un peu partout dans le pays, à la noire injustice, est l’autorisation pour les grandes surfaces d’ouvrir leur rayons non-alimentaires. Indignation automatique et bien naturelle des petites surfaces devant cette évidente atteinte à la concurrence. Les petits auraient dû attendre le 11 mai tandis que les gros auraient pu écouler leur camelote dès le 27 avril. 15 jours de liesse sans être gênés par personne.

Notons en passant qu’avec cette affaire, on a frôlé le débat sur le sexe des anges. Alain Berset en personne est venu expliquer que parmi les produits non alimentaires qui pourraient être vendus en grande surface figuraient, par exemple, les lacets de souliers et les sous-vêtements. Mais pas les vêtements.

Il y avait une solution et une façon très simple de mettre fin à l’injustice: permettre la réouverture de tous les commerces petits et grands. C’était ce que réclamait notamment l’USAM. Mais c’est une égalité par le bas, comme souvent, plus commode et moins courageuse, et non par le haut, qui a été choisie par le Conseil fédéral. Jusqu’au 11 mai personne ne vendra autre chose que du saucisson et des poireaux – pour faire court. Tous unis et égaux devant la mévente et les chiffres rouges.

Pas de quoi entamer pourtant la sérénité et l’omniprésence de l’homme aux lacets. C’est le propre de chaque crise de générer une figure tutélaire paraissant porter, face caméra, tout le poids du monde sur ses épaules. En Suisse, pour le Covid-19, c’est tombé sur Alain Berset. Selon le verdict en tout cas dans la plupart des médias qui n’en peuvent plus d’éloge.

N’est-ce pas le Fribourgeois qui incarne à lui seul la lutte contre le virus? Lui qui prend les décisions? Lui l’homme fort et la superstar du gouvernement? Et attention, modeste avec ça: «C’est un très grand engagement et presque une performance sportive qu’on mène tous ensemble.» Bien que quand même un poil auto-satisfait devant l’œuvre accomplie: «On voit dans ces moments-là que notre système politique, qu’on juge souvent un peu ennuyeux et trop lent, est capable de réagir pour faire face.»

Même si la mauvaise humeur qui se fait de plus en plus sentir en Suisse alémanique face à un confinement jugé trop long, trop strict et trop coûteux pourrait transformer, au moment de régler l’addition, Alain le Malin en commode bouc émissaire welsch.

En attendant, chapeau l’artiste. Il n’est en effet pas donné à tout le monde d’affirmer, à propos de la nécessité de porter des masques, tout et son contraire pendant plusieurs semaines, tout en soutenant que le Conseil fédéral n’a jamais varié de position. C’est ce qui s’appelle sans doute réfléchir aussi vite que possible mais aussi lentement que nécessaire.