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Une bière en terrasse grâce au «Coronagraben»

La décision du Conseil fédéral de rouvrir les établissements publics dès le 11 mai dit beaucoup sur les rapports de force à l’œuvre dans le pays.

C’est un peu la surprise des chefs. Alors que les hôteliers, cafetiers et autres restaurateurs, du moins leur organisation faitière GastroSuisse, ne décoléraient pas contre l’absence de décision du Conseil fédéral et réclamaient une réouverture rapide des établissements publics, les sept sages se sont brusquement réveillés.

Les restaurants pourront donc redémarrer dès le 11 mai, à des conditions sanitaires certes drastiques, qui posent beaucoup de questions d’application et de rentabilité. N’empêche, cette décision intervient dans un contexte de «coronagraben» de plus en plus marqué. Au point que GastroSuisse avait  fait d’Alain Berset sa bête noire et placé tous ses espoirs dans Simonetta Sommaruga.

D’un côté et de l’autre de la Sarine, et au-delà de de la restauration, l’approche de la crise était globalement de plus en plus divergente. Les Alémaniques plaidaient pour une rapide reprise d’une machine économique privée de carburant tandis que les Romands nettement plus touchés statistiquement par le virus, penchaient plutôt pour la prudence et une prolongation de la mise en veilleuse des activités.

Emboîtant le pas des milieux économiques l’UDC avait tiré la première, suivie bientôt par le Parti radical et sa présidente Petra Gössi qui fustigeait «le manque de stratégie du gouvernement». La toujours très influente NZZ y allait de ses complaintes horrifiées face à la récession maousse qui se profilait. Nombre de cantons alémaniques enfin pressaient l’exécutif fédéral de mettre tous les feux au vert.

Un conseiller d’Etat obwaldien pouvait expliquer aux timorés lémaniques que dans son demi-canton, les hôpitaux n’avaient «jamais été en difficulté». Qu’au contraire, ils étaient même «vides»: «Le personnel soignant n’a plus de travail. Dans ces circonstances, la population ne comprend pas que nous laissions l’économie à terre alors que la situation est sous contrôle.»

Les Alémaniques réclament ainsi une espèce de déconfinement à la carte, au cas par cas des régions et suivant le degré de gravité locale de la pandémie. À la remarque qu’un fédéralisme aussi exacerbé ne serait pas de mise en période de crise aigüe, le conseiller aux Etats saint-gallois Benedikt Würth rétorque dans Le Temps que ce sont au contraire «les pays aux systèmes fédéraux comme l’Allemagne, l’Autriche et la Suisse qui s’en sortent mieux que les pays centralisés comme la France ou l’Italie». Il n’apparait en tout cas pas complètement sot d’affirmer «qu’en première ligne sur le terrain, les cantons et les communes peuvent se montrer précieux pour mettre en place des mesures adaptées».

Outre cependant les différences de mentalité et de sensibilité qui pourraient expliquer que les uns privilégient l’urgence sanitaire contre l’urgence économique et les autres l’inverse, il faut ajouter aussi la réalité des chiffres. Le bilan saint-gallois pourrait par exemple rendre Vaudois et Genevois bien envieux: 727 cas positifs, 29 morts et six personnes aux soins intensifs. Une situation qui permet bien sûr plus facilement de jouer les matamores face au virus.

Ces dissensions entre latins et germains se retrouvent aussi au niveau de la restauration. Les sections romandes de GastroSuisse émettent de fortes réserves face à cette reprise agendée plus tôt que prévu, tandis que le président central Casimir Platzer, hôtelier à Kandersteg, n’en finit plus, lui, de chanter victoire.

C’est ainsi que savourant sa première bière en terrasse le 11 mai prochain, le consommateur pourrait se rappeler qu’il doit ce moment de plénitude à une réalité dont probablement il se plaint toute l’année: que dans ce pays, ce sont les Suisses allemands qui commandent.