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Les vieux se prennent la marée

Quelques jours après la grève des femmes, le réputé conservateur Conseil des Etats donne des signes de féminisme échevelé.

Les vieux messieurs ne sont plus ce qu’ils étaient. Sans aller jusqu’à dire qu’ils sucrent les fraises, force est de constater un commencement de tremblote. Oui, ils tremblent désormais les vieux messieurs, devant une menace particulièrement redoutable: la marée violette.

Quelques jours, en effet, après l’impressionnante et massive grève du 14 juin, le Conseil des Etats, que certaines élues aiment qualifier, dans un mouvement de double stigmatisation, de «club de vieux messieurs», ne se montre pas rancunier: il fait une fleur aux femmes en ratifiant, dans le cadre de la révision de la loi sur les sociétés anonymes, après le Conseil fédéral et le Conseil national, l’idée de «valeurs indicatives». Autrement dit, d’un seuil concernant le nombre de femmes dans les conseils d’administration (30%) et à la direction (20%) des sociétés cotées en Bourse.

Des valeurs qui ne sont pas des quotas, contrairement à ce qu’affirment leurs détracteurs, essentiellement UDC et radicaux, puisqu’elles sont non contraignantes, les entreprises en faute ayant juste à «s’expliquer». Voilà ce qui a suffi à de vieux messieurs d’ordinaire plus soupe au lait lorsqu’il s’agit de défendre l’indiscutable et sacré principe de la liberté entrepreneuriale.

Difficile de leur donner tort sans passer pour un indécrottable suppôt du patriarcat. Difficile, mais peut-être nécessaire, au nom de la froide raison. Si les valeurs indicatives ne sont pas contraignantes, à quoi bon délibérer et légiférer, si ce n’est pour endosser le costume flatteur du bon apôtre? On ne voit pas bien non plus comment justifier cette intrusion manifeste de l’Etat dans une structure aussi privée que peut l’être une société anonyme, ni à quelle compétence de management spécifique correspondrait le critère du genre.

La faiblesse des arguments pour imposer ces valeurs indicatives, tous basés sur l’émotion, le ressenti et le sermon sur une montagne de bonnes intentions, montre que l’on est davantage là dans une représentation théâtrale et valorisatrice des élus que dans la recherche du bien commun.

«La Suisse fait pâle figure dans les classements internationaux, assène la PDC jurassienne Anne Seydoux-Christe, soutenant que les femmes n’occupent que 21% des postes dans les conseils d’administration, et 9% seulement dans les directions. Il est donc juste et légitime de légiférer.» Sauf qu’il peut sembler quand même réducteur de faire reposer une législation sur des rankings internationaux, à peu près aussi déterminants que le concours Eurovision de la chanson.

L’argument développé par le Fribourgeois Beat Vonlanthen est encore plus terre-à-terre, à hauteur même du bitume: dire non aux valeurs indicatives après la grève du 14 juin «serait une claque pour les femmes». Dans cette optique démagogique, la rue devient le législateur. Le socialiste Christian Levrat va plus loin: pour lui, ce cadeau fait aux femmes contribuera à favoriser «le vivre-ensemble et la cohésion de notre société». Ce qui s’appelle légiférer sous la menace.

Ce n’est pas, parce qu’il est usé jusqu’à la corde et servi pas toujours avec bonne foi et bienveillance, que l’argument de la compétence devant primer sur le genre, serait complètement faux. Est-il illégitime de deviner sous le quota ou le seuil, comme on voudra l’appeler, le présupposé sournoisement machiste d’une prétendue incapacité des femmes à avancer sans béquilles?