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Un moral de vainqueur

Les Verts ont le vent en poupe, crise climatique oblige. Gare pourtant à la certitude de détenir la vérité, qui conduit rarement à des politiques équilibrées.

Les vainqueurs n’ont pas toujours bonne presse. On leur préfère volontiers les perdants magnifiques. Peut-être parce que le moral du vainqueur pousse rarement à des excès de lucidité ou à ces éclairs d’inutile bienveillance que la défaite amère, elle, sait si bien sécréter.

Voyez les Verts suisses. C’est deux jours après le triomphe dans les urnes de leurs frères européens qu’ils présentaient le programme de campagne pour les élections fédérales de cet automne. Une salve de propositions qui prenaient du coup un petit goût d’autosatisfaction, de triomphalisme avant l’heure.

Quand l’histoire soudain vous donne raison, la peur s’envole et l’on peut désormais par exemple, exiger cette fois sans que la voix vous tremble, que les centrales nucléaires de Beznau I et II «soient immédiatement et définitivement débranchées». Euphorie, quand tu nous tiens!

Tant pis si l’horizon prévu  par «Stratégie 2050»- arrêt définitif de la dernière centrale en 2035- sera déjà difficile à compenser, et si pour l’heure, rien n’est vraiment prêt pour relayer demain matin l’atome – ni les énergies renouvelables ni l’efficience énergétique, ni les avancées technologiques. Qu’importe, fermons, débranchons et dansons la gigue.

Les ailes leur poussent tant que nos Verts se voient désormais en étalon universel. «Pour conserver notre environnement et nos valeurs, le statu quo n’est pas une réponse. La société doit changer» tonne ainsi Balthasar Glättli, le chef du groupe des Verts au parlement Bref, la révolution ou rien.

Si parler de «notre environnement» ne pose pas trop de problème – en principe il n’y en a qu’un et il est à peu près le même pour tous-  invoquer, en revanche, un changement de société pour conserver «nos valeurs» devrait faire dresser l’oreille. On ne sache pas par exemple que les Verts s’y retrouvent quand les patriotes bas du front brandissent pour tout et rien le miteux étendard collectif de «nos valeurs». C’est le problème avec les valeurs: on a beau s’égosiller que ce sont  les nôtres, elles ne sont, en général, que celles d’un  groupe bien particulier, tout sauf universel.

Du coup, au petit parfum d’euphorie se mêle un léger remugle d’intransigeance, que les écolophobes – il en reste encore, même si l’odieux costume devient de plus en plus compliqué à porter –  traduiront par: «les Verts veulent changer la société pour la rendre plus conforme à leurs valeurs. Planquez les économies».

Ferrailler par exemple contre les chauffages à mazout, qui s ’en offusquera? Mais décréter comme un enfant trop gâté qui veut tout, tout de suite, l’interdiction immédiate de tout nouveau chauffages de ce type, c’est tenir pour rien des réalités, des situations et des existences diverses, pas toujours dorées.

C’est avec la même avidité gourmande que les Verts peuvent donner cette fois sans remord, libre court à leur vieille manie, et gazouiller à pleins poumons leur tube préféré: la valse à mille taxes. Sur l’essence, le kérosène, les billets d’avions, la circulation en ville…

Tant pis si l’interminable crise des gilets jaunes en France parait avoir établi que des mesures écologiquement justifiées pouvaient s’avérer humainement et socialement tout à fait injustes. Le choc des valeurs sans doute.