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Au régime sec, même sur l’eau

La réforme de la législation sur la navigation confirme une tendance lourde des gouvernances actuelles: donner des leçons sans trop se mouiller. Les exemples abondent.

Dire que le Conseil fédéral ne sait pas décider est un gros mensonge. Souvent moqués pour leur art, tout en lenteur confédérale, de couper les cheveux en huit et de fomenter les compromis à la douzaine, les sept sages savent pourtant taper du poing sur la table quand il le faut. Surtout si la table n’est pas grande.

C’est ainsi, apprend-on, que les valeureux qui nous gouvernent viennent de prendre cette importante mesure dans le cadre de la réforme de la loi sur la navigation intérieure: l’interdiction de l’alcool à la barre.

Le conducteur de bateau se retrouve ainsi soumis aux mêmes règles qu’un banal chauffard de grand-route: le 0,5 pour mille s’applique et il faudra dès le 1er janvier 2020 souffler dans le ballon, même sur l’eau.

Avec cependant une foule d’exceptions. Les bateaux de moins de 2,50 mètres, les engins de plage, les bateaux à pagaies, les bateaux de compétition à l’aviron, les planches à voile, les kitesurfs et les petits canots pneumatiques non motorisés jusqu’à 4 mètres de long, ne seront pas soumis au régime sec. Avec cette intéressante précisons, garantie sans éthylotest: «Les bateaux pneumatiques devront toutefois être uniquement pilotés par des personnes en état de conduire.» Dura lex, sed lex et increvable sagesse des nations.

Autre institution très critiquée mais néanmoins capable, elle aussi, d’accoucher de tonitruantes décisions, d’avancées humaines et sociales qui font chaud au cœur: les CFF. Après que la fumée ait été interdite dans les wagons, c’est désormais aussi sur les quais qu’elle sera totalement prohibée. Avec des justifications qui frôlent le déraillement, si pas l’enfumage: offrir un air plus pur aux usagers et économiser sur les frais de nettoyage.

Parallèlement à ces martiales offensives contre l’alcool et la cigarette, on peut constater à l’inverse un certain laisser-aller dans les luttes contre des substances qui n’ont pas la chance d’être légales. C’est ainsi que le canton de Saint-Gall renonce désormais à amender les possesseurs de moins de deux grammes d’héroïne ou de cocaïne, comme la plupart des cantons l’ont déjà fait pour la possession de moins de 10 grammes de cannabis.

Les mauvais esprits pourront facilement supposer qu’un même principe guide tous ces mouvements: la facilité, pour ne pas dire la paresse. Il est plus facile, par exemple, de sévir contre ce qui est permis, et donc consommé au grand jour, que contre ce qui interdit et donc pratiqué plus discrètement.

De la même façon qu’il est plus facile de continuer à interdire cannabis et cocaïne plutôt que tenter l’aventure de la légalisation. Comme il est plus facile de tolérer discrètement ce qui est interdit que de lutter contre les violations sournoises de ces interdictions. Plus facile d’interdire la cigarette sur les quais que de faire arriver les trains à l’heure. Plus facile de contrôler quelques gros bateaux qu’une nuée de petites embarcations… Bref, on peut penser ce que l’on veut de ces diverses mesures, sauf que s’y cacherait la moindre once de courage.

Se dessine ainsi peu à peu le portrait-robot de l’homme nouveau, la fière silhouette de l’Übermensch dessinée par un État et des institutions d’autant plus donneuses de leçons qu’elles se montrent timorées. Le tout sur fond de lendemains qui chantent et d’expériences toujours plus enrichissantes, de tranches de vie toujours plus palpitantes. Comme se faire un rail tranquille à bord de son canot pneumatique plutôt que bêtement fumer sur un quai de gare en attendant un train qui n’arrivera plus.