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Danger pour la science suisse

La votation sur l’autodétermination met en danger le système académique suisse en l’excluant des partenariats internationaux. 

Le 25 novembre prochain, le peuple suisse votera sur l’initiative traitant de l’autodétermination, appelée également «Le droit suisse au lieu des juges étrangers». De fait, cette initiative pourrait remettre en cause la participation de la Suisse aux traités internationaux conclus par notre pays, y compris ceux négociés avec l’Union européenne. Cela toucherait donc les précieux accords liés aux programmes de recherche européens, avec pour conséquence d’en exclure potentiellement les chercheurs suisses et d’affecter ainsi très sérieusement la compétitivité de la recherche scientifique suisse.

De nombreuses voix s’étaient élevées à l’époque pour pointer du doigt la responsabilité de la communauté scientifique suisse dans l’issue négative du votre sur la libre circulation de masse du 9 février 2014. Il avait en particulier été reproché le manque d’engagement de cette communauté pour lutter contre cette initiative. La recherche suisse a été la première à souffrir des conséquences du vote sur la libre circulation puisque la Suisse a été exclue quasiment immédiatement des programmes de recherches européens.

Selon les chiffres du Secrétariat d’Etat à la Formation, à la Recherche et à l’Innovation (SEFRI), plus de 1,4 milliard de francs ont été perdus pour la science suisse entre 2014 et 2016, montant qu’il n’a pas été possible de récupérer. Les hautes écoles suisses ont également subi les conséquences de cette exclusion en peinant à attirer les meilleurs professeurs, un élément clé de la compétitivité de nos universités. Il a fallu toute l’ingéniosité de nos diplomates pour réussir à nous réintégrer partiellement dans ces programmes.

Notre prospérité dépend en grande partie de la qualité de notre système éducatif, en particulier celui de nos universités qui comptent parmi les plus performantes au niveau mondial. Or, l’ouverture du système académique suisse est à la base de sa compétitivité internationale. Notre pays est trop petit pour ne s’appuyer que sur ses forces au seul niveau national. Nos scientifiques ont besoin de collaborer avec leurs collègues au niveau international. Les scientifiques suisses récoltent plus de moyens compétitifs que la Suisse n’en injecte dans le système européen de la recherche.

Les pépinières de start-up qui fleurissent dans notre pays sont également le résultat de cette excellence. Elles sont essentielles pour nourrir le renouvellement de notre tissu industriel. La Suisse caracole dans l’ensemble des classements de l’innovation, un élément si important pour la création et le maintien d’emplois à haute valeur ajoutée. La bonne santé actuelle de notre économie s’explique par le fait que nous avons su développer une économie du savoir. La participation de la Suisse aux grands programmes européens de recherche est essentielle au maintien de la qualité de l’entreprise scientifique suisse. Elle aurait de la peine à se relever d’une seconde exclusion.

La science et l’éducation ne seraient cependant pas le seul domaine à être atteint par ce vote. Comment en effet justifier être les hôtes de nombreuses organisations internationales telles que l’Organisation des Nations Unies (ONU), l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) ou l’Union Internationale des Télécommunications (UIT) si nous venions à décider que notre droit prime sur l’international ? C’est plus de 30’000 emplois qui pourraient être remis en question, juste à Genève. Demain, la ville du bout du lac devrait être le lieu où se discute les problèmes de gouvernance liés aux développements technologiques tels que l’intelligence artificielle, l’internet des objets, le «big data» ou l’édition génétique. Une initiative qui pourrait être remise en question en cas d’acceptation de l’initiative.

Si elle devait être acceptée, la Suisse se verrait assurément marginalisée sur le plan international. Elle perdrait de son influence dans les négociations au niveau mondial que ce soit sur le climat où l’élaboration du droit international. Rappelons que la souveraineté, c’est participer aux décisions et non s’en soustraire.

Finalement, faire croire comme le fait l’UDC que le vote sur l’autodétermination menace la démocratie directe, c’est faire preuve d’un manque d’honnêteté intellectuelle. Il faut souhaiter que les citoyennes et citoyens suisses ne se laissent pas manipuler par les élans populistes de certains de nos politiciens. Il en va de l’avenir de notre pays.

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Patrick Aebischer, chercheur en neurosciences, a dirigé l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) de 2000 à 2016.

Ce texte a été publié initialement dans la NZZ am Sonntag. Patrick Aebischer s’y prononce régulièrement sur des questions en lien avec la digitalisation et l’innovation.