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L’hypocrite pirouette du Conseil fédéral

Il existe de bonnes raisons de signer le pacte de l’ONU sur les migrations. Il en existe aussi de bonnes pour ne pas le signer. Pour l’instant, la Suisse a décidé d’attendre. Pour de mauvaises raisons.

Nous voilà donc en sacrée compagnie. Les États-Unis, Israël, l’Italie, l’Autriche, la Hongrie, la Bulgarie…des pays certes parfaitement respectables, connaissant des régimes totalement démocratiques, avec des élus et des dirigeants, quoi qu’on pense de leur positionnement politique, qui jouissent d’une légitimité irréprochable. Sauf que ces aimables nations ont décidé d’endosser la tunique infâmante des moutons noirs.

Leur crime? Ne pas se rendre les 10 et 11 décembre prochains à Marrakech. Et donc ne pas signer ou en tout cas pas tout de suite, le pacte sur les migrations concocté et négocié sous l’égide des Nations Unies.

Nous voilà donc en compagnie des Trump, Salvini Orban et consorts. Le texte qui décline 23 objectifs et n’est pas contraignant juridiquement, entend, selon le secrétariat général de l’ONU, non pas «dire si les migrations sont bonnes ou mauvaises mais offrir un cadre d’action pour mieux les organiser». Notamment dans la lutte contre les passeurs, et pour l’encadrement des migrants.

Mais bon: les détracteurs du pacte y voient surtout un nouvel instrument mis à la disposition des migrants pour batailler devant les tribunaux, ainsi qu’un coin de plus enfoncé dans les souverainetés nationales. Pour certains dirigeants, ne pas pouvoir décider seul de la politique migratoire sur son propre sol, cela frise l’intolérable.

La Suisse, elle, a fait volte-face, le Conseil fédéral effectuant une pirouette proche de la schizophrénie. D’abord j’approuve le pacte. Ensuite je dis que finalement non je n’irai pas à Marrakech, tout en ajoutant, d’une voix probablement sirupeuse , qu’il est vraiment chouette, ce pacte, et que même «il correspond aux intérêts de la Suisse». Pas au point quand même de le ratifier.

Cette valse-hésitation, orchestrée par l’étrange Ignazio Cassis, s’appuie les réticences du parlement. Trois commissions sur quatre se sont prononcées contre le pacte. Un débat parlementaire est apparu donc, pour nos sages, comme la seule issue. Ce qui équivalait quand même à se coucher bien rapidement devant une UDC qui avait comme souvent réduit l’affaire à sa plus extrême simplicité: le pacte de l’ONU ne serait rien d’autre que la promulgation «de la libre-circulation des personnes au niveau mondial».

Le peuple vient pourtant de recaler sèchement l’UDC sur un sujet très voisin, en refusant à 67% la primauté du droit suisse sur le droit international. Bref le Conseil fédéral donne l’impression d’être plus à l’écoute des mouvements populistes que du peuple lui-même.

Voilà donc la Suisse en but à une salve de reproches onusiens, dont tous, pourtant n’apparaissent pas non plus franchement convaincants. Louise Arbour, la représentante spéciale de l’ONU pour les migrations, dit ainsi s’étonner «que la Suisse s’inquiète de ce pacte. Elle applique déjà elle-même ce que prévoit le document». Quel besoin alors de le signer?

Louise Arbour insiste ensuite sur le côté non contraignant du processus, disant ne pas comprendre «cette notion selon laquelle ce pacte deviendrait subrepticement obligatoire contre la volonté de la Suisse». Là aussi on peut retourner le raisonnement: signer des engagements non obligatoires revient à ne rien signer du tout, à simplement jouer les vertueux pour la galerie, comme on l’a vu maintes voit avec des Conférences sur le climat qui n’ont amené aucune amélioration dans la lutte contre le réchauffement.

Il semblerait bien que ce pacte sur les migrations soit de cet ordre: se donner bonne conscience en paraphant hypocritement des principes généreux que l’on n’a pas une seconde l’intention d’appliquer. De ce point de vue la Suisse aurait plutôt raison de ne pas se précipiter à Marrakech. Dommage qu’elle le fasse pour de bien mauvaises raisons: des calculs électoraux qui conduisent à valider, de fait, par pusillanimité, des thèses franchement xénophobes. Ce qui nous amène à une très vieille aporie philosophique: avoir raison par hasard est-ce encore avoir raison?