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Comme son prénom l’indique

Dans la course au Conseil fédéral, Heidi Z’Graggen part avec plusieurs handicaps sur sa concurrente Viola Amherd. Ce duel de montagnardes pourrait pourtant accoucher d’une surprise.

Le prénom idéal. Dans la bataille ultime pour la succession de Doris Leuthard qui oppose les deux montagnardes Viola Amherd et Heidi Z’Graggen, l’Uranaise marque d’entrée un point contre la Haut-Valaisanne. Heidi au gouvernement suisse, voilà qui aurait de l’allure. Carton mondial assuré, spécialement auprès de nos amis japonais. Même si bien sûr un prénom ne fait pas tout. Ce n’est pas Adolf Ogi qui nous contredirait.

Evidemment, Viola Amherd est présentée comme la grande favorite. Parce qu’elle est du sérail, autrement dit du petit monde parlementaire qui s’agite sous la coupole. Elle connaît chacun et chacun la connaît. Quand Heidi Z’Graggen, elle, doit se contenter d’une réputation avérée entre Andermatt et la face nord du Gothard. Un entêtant petit parfum de surprise flotte pourtant depuis quelques jours dans les arrière-cuisines fédérales. Il semblerait soudain que Heidi soit davantage qu’un prénom mythique.

Élue à 38 ans au Conseil d’Etat uranais, cette enseignante du primaire puis du secondaire en a aujourd’hui 52. Elle aime raconter que son bureau jouxte le monument de Guillaume Tell. Au niveau du folklore patriotique, cela commence à faire beaucoup. Maligne pourtant, elle fait alors remarquer que le Gothard représente un monumental signe d’ouverture sur le monde extérieur. Creusez les Alpes qu’on voit la mer.

Politiquement, elle se définit comme pro business, un brin eurosceptique, partisane d’une politique migratoire plutôt restrictive – elle est contre la signature du pacte de l’ONU sur les migrations en l’état. On ne sait pas si elle subit là l’influence de son compagnon, un ancien député cantonal zurichois UDC. De cette relation elle dit joliment qu’il s’agit «d’une concordance vécue».

Si on la pousse un peu, elle fera cet aveu prudent: «Je suppose que j’appartiens davantage à l’aile droite du parti». Au point de faire apparaître Viola Amherd comme quasi «une femme de gauche». «Mon père se retournerait dans sa tombe s’il entendait ça» a déjà rétorqué la Haut-Valaisanne.

D’autant qu’Heidi Z’Graggen s’affirme partisane du mariage pour tous. Elle réussit aussi le tour de force d’être créditée de convictions écologiques, elle qui pourtant, comme chargée de l’aménagement du territoire, a tout fait pour faciliter la réalisation du méga complexe touristique voulu à Andermatt par le milliardaire égyptien Samih Sawiris, l’exemptant notamment des chicaneries prévues par la Lex Koller et l’initiative sur les résidences secondaires. Ce qui ne l’empêche pas de présider depuis peu la Commission fédérale pour la protection de la nature et du paysage. Elle semble d’ailleurs atteinte d’un petit virus très à la mode et de type macronien: «Je ne suis pas attachée, dit-elle, à la conception classique gauche-droite, mais à la solution.»

Cette Heidi-là ne paraît donc pas avoir grand-chose d’une gentille petite bergère. Un micro malencontreusement ouvert lors de la présentation des candidats PDC a permis qu’on l’entende traiter le président de la section Seniors du PDC soleurois de «crétin». Heidi s’est ensuite fendue d’une explication proprement surnaturelle, plaidant un «malentendu acoustique».

N’empêche: sachant que l’élection se gagne avec 124 voix, et qu’à eux seuls radicaux et UDC disposent de 120 voix, Heidi et son profil conservateur ne partent pas forcément battus. Et puis Uri, malgré Guillaume Tell, est un des trois seuls cantons qui n’a jamais eu de conseiller fédéral. Uranais lui aussi et ancien président du parti radical suisse, Franz Steinegger dit sa conviction que tout se jouera lors des auditions. Un coup de théâtre semble donc possible, à condition toutefois qu’Heidi ne traite personne de vieux crouton sénile.