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Chic, revoilà Manon

Le rapport annuel d’Amnesty international pointe une nouvelle fois la façon inhumaine qu’aurait la Suisse de conduire sa politique d’asile. Un jugement sans excès de nuances, à l’image de Manon Schick, directrice de la section Suisse.

Le rapport annuel d’Amnesty International, c’est un peu comme la mort ou les impôts: on a beau savoir qu’on n’y échappera pas, cela fait quand même mal. D’autant qu’en général rien de ce qu’il mentionne n’est méconnu. Tueries en Syrie, massacres au Yémen, nettoyages chez les Rohingyas, crise des migrants en Europe: tout sonne tristement familier.

On feint juste, chaque fois, d’être un peu étonné que notre Suisse irréprochable y soit aussi épinglée. Il faut dire que cette année l’organisation a mis l’accent sur les «politiques de diabolisation» dont «des millions de personnes à travers le monde ont goûté les fruits amers». La Suisse ne pouvait ainsi pas ne pas se sentir visée par ce reproche fait aux «dirigeants des pays les plus riches» de mêler dans leur approche des crises migratoires «l’esquive à l’inhumanité pure et simple».

Une inhumanité bien à l’œuvre chez nous, selon la directrice de la section suisse d’AI, la très pugnace Manon Schick. Nos autorités ont en effet «renvoyés plusieurs demandeurs d’asile dans d’autres Etats membres de l’espace Schengen en appliquant le règlement Dublin sans tenir compte des liens familiaux de ces personnes en Suisse, comme pourtant l’exigent les conventions internationales».

Evidemment le cas évoqué, et d’ailleurs vilipendé par le Tribunal Fédéral, d’une famille afghane d’abord séparée et placée en détention pour être renvoyée en Norvège, pourrait réveiller ici et là quelques méchants et inhumains accès de mauvaise foi. Du genre à faire valoir que renvoyer quelqu’un de Suisse en Norvège, ce n’est pas tout à fait le précipiter de Charybde en Scylla.

Reste qu’en invoquant les conventions internationales, Manon Schick ne fait que renfourcher sa plus vieille rosse de bataille. Elle qui aime raconter avoir «commis» son premier acte militant à l’âge de 14 ans: il s’agissait alors de coller des étiquettes appelant au boycott sur des boîtes d’ananas en provenance d’une Afrique du Sud en plein apartheid. Elle aussi qui attribue l’origine de sa capacité d’indignation, curieusement à ses origines allemandes: «L’héritage de la Seconde Guerre mondiale et la séparation entre Allemagne de l’Ouest et de l’Est m’ont profondément marquée.»

C’est après une mission en Colombie en 2003 qu’elle postule au poste de porte-parole de la Section suisse d’Amnesty, avant d’en devenir la directrice générale en 2011. Face à une UDC qui fait initiative de tout bois, surtout s’il est vermoulu, elle s’attaque alors à la quadrature du cercle: convaincre que «le droit international est la garantie de notre Etat démocratique». Une gageure dans cette Suisse qui n’aime pas trop recevoir de leçons, surtout de démocratie.

Manon Schick récite aujourd’hui d’autant plus fort ce credo que se profile une initiative UDC qui entend graver dans le marbre constitutionnel la préséance justement du droit suisse sur le droit international. Une initiative que l’intrépide directrice verrait bien invalidée au nom… du droit international: «Il est urgent que la Suisse mette en place un mécanisme de contrôle pour veiller à ce que les initiatives populaires soient conformes au droit international relatif au droits humains avant d’être soumis au vote».

Il risque tout de même d’être un peu compliqué d’expliquer en quoi un droit international se protégeant lui-même contre un droit national issu de la démocratie directe, serait le meilleur garant de cette même démocratie.

Sans compter que la mauvaise foi évoquée plus haut pourrait à cet instant poser cette question malveillante: «Dites voir, ce régime de Dublin qui permet de renvoyer les requérants d’où ils sont venus, ce ne serait pas du droit international?»