LATITUDES

Plus dures sont les chutes!

Avec le vieillissement de la population, les chutes et leurs conséquences deviennent un vrai problème de santé publique. Si la clé pour éviter le pire est souvent de savoir se rattraper, de nouveaux outils technologiques permettent aussi de mieux les anticiper.

88 ans, Berthe vivait seule avec son chat, en pleine forme et de manière totalement autonome. Jusqu’à ce qu’elle trébuche chez elle et se fracture une hanche en se heurtant contre un meuble. L’ancienne bibliothécaire fait partie des 30% de personnes âgées de 65 ans et plus qui tombent chaque année dans le pays, selon les chiffres de l’Office fédéral de la statistique.

Les chutes représentent aujourd’hui la deuxième cause de décès accidentels ou par traumatisme involontaire, après les accidents de la route. Outre les souffrances qu’elles causent, les arrêts de travail, les prises en charge chirurgicales et les hospitalisations qu’elles entraînent, les chutes engendrent annuellement des frais de santé se comptant en millions de francs.

Inévitables, mais rattrapables

Si chez un enfant, une fracture consécutive à une chute est guérie en quelques semaines, pour les aînés, par contre, elle peut représenter le début de la fin, remarque Olivier Borens, médecin-chef de l’Unité de traumatologie et de chirurgie septique du CHUV: «La victime âgée peut dès lors commencer à perdre son indépendance, et sa qualité de vie peut s’en trouver significativement réduite.»

Les enfants possèdent des os plus élastiques, moins frêles et ont l’habitude de se protéger, explique le médecin. «En tombant, ils ont tendance à se fracturer davantage un membre supérieur, tandis que les gens de 65 ans et plus se cassent tant des os des membres inférieurs (cheville, rotule, fémur…) que supérieurs (poignet, radius, humérus…).» Deux groupes sont plus vulnérables aux blessures résultant d’une chute. Les hommes âgés entre 20 et 30 ans sont les plus exposés, avec des chutes souvent liées à des activités à haute énergie, intervenant par exemple lors d’accidents de la route ou sur le lieu de travail. Mais les femmes âgées de 70 à 80 ans le sont tout autant, parce qu’elles souffrent davantage d’ostéoporose, qui réduit la densité et la masse des os, explique Olivier Borens. «Dans cette tranche d’âge, en nombre absolu, les femmes sont trois fois plus susceptibles que les hommes de se casser un os en tombant.»

À partir d’un certain âge, la chute devient donc quasiment inévitable. «Nous sommes plus facilement déstabilisés, nous avons moins d’équilibre, nous réagissons plus lentement», détaille le spécialiste. «Naturellement, si un patient a été sportif toute sa vie, il aura des os et des muscles plus forts, il sera plus vif. À l’opposé, s’il est sédentaire, qu’il se nourrit mal, manque de calcium et de vitamine D, ses os seront plus fragiles.»

En suivant des séances de physiothérapie, certaines personnes âgées peuvent toutefois devenir plus alertes, adopter une meilleure posture et apprendre à mieux se protéger, et surtout à mieux se rattraper. La gravité d’une chute dépend en effet souvent de la manière avec laquelle on se rattrape.

Un outil pour mettre les chutes au pas

Incontestablement, avec une population qui prend de l’âge et qui est plus prompte aux chutes, la géronto-traumatologie est donc appelée à se développer énormément, souligne Olivier Borens. «Dans un avenir proche, il faudra investir dans la prévention des chutes, la fortification de l’os porotique, les techniques chirurgicales, ainsi que les structures d’accueil et de rééducation postfracture.»

Des solutions technologiques pourraient aussi contribuer à mieux les voir venir, à l’instar de l’exosquelette intelligent mis au point par des chercheurs de l’EPFL et de la Scuola Sant’Anna en Italie, consistant en une combinaison robotique permettant d’éviter les pertes d’équilibre. Ou encore, du dispositif d’analyse de la marche conçu par la start-up vaudoise Gait Up, à l’origine d’une petite révolution. «Il s’agit d’un “thermomètre” de la mobilité, destiné notamment aux professionnels de la santé, cliniciens, physiothérapeutes et chercheurs», explique Cléo Moulin, responsable des ventes.

Grâce à un boîtier de 3×1 centimètres placé sur la chaussure du patient, différents paramètres comme la vitesse de la marche, la symétrie et la hauteur des pieds peuvent être mesurés. La marche est un bon indicateur de l’état de santé général d’une personne, fait valoir la jeune femme. «La fonction mobile est le résultat des conditions cardiaque, pulmonaire, musculaire et osseuse. En l’analysant, on peut prédire précisément les risques de morbidité et de chute. Il est démontré, par exemple, qu’une vitesse de marche de 1,2 mètre par seconde est nécessaire pour traverser la route sans danger et que marcher à 0,6 mètre par seconde présage des risques de chute et d’hospitalisation», affirme-t-elle. Le suivi de l’évolution des paramètres dans le temps permet d’anticiper les risques, avant même que les premiers signes de déclin de la fonction mobile ne soient visibles.

Au même titre que la mesure de la pression artérielle ou de la température corporelle, le dispositif fait désormais partie de la routine de nombreux gérontologues. Ses principaux intérêts? La vitesse, la précision et la facilité d’utilisation. Le test qui consiste à faire marcher le patient 10 mètres aller-retour est ainsi effectué en deux minutes. L’analyse des résultats peut ensuite être consultée via une tablette ou un ordinateur. «Le système remplace un laboratoire équipé de matériel sophistiqué avec du personnel formé.»

Vendu entre 3’000 et 7’000 francs, le dispositif permet aussi d’apprécier comment un patient récupère à la suite de la pose d’une prothèse, de contrôler si un traitement est efficace, et même de diagnostiquer des troubles neurologiques comme la maladie de Parkinson. «Dans une société où il faut toujours davantage justifier une intervention ou son absence, cette précision, chiffrée, est appréciable, d’autant qu’elle permet de prescrire une thérapie adaptée.»

Le Service de gériatrie du CHUV utilise le dispositif commercialisé par Gait-Up depuis une quinzaine d’années. «Il s’est beaucoup perfectionné avec le temps. Aujourd’hui, il est gros comme une boîte d’allumettes et permet d’extraire beaucoup plus de données qu’à l’époque», note Christophe Büla, chef du Service de gériatrie et de réadaptation gériatrique, qui se félicite de son usage toujours plus répandu.

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Une version de cet article est parue dans In Vivo magazine (no 13).

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