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La Suisse des vipères et des crapauds

Un rapport international s’inquiète du sort qui est fait dans notre pays aux reptiles et aux amphibiens. La pression démographique n’explique et n’excuse sans doute pas tout.

«Nous prions la Suisse de faire des efforts dans ce domaine». L’homme qui parle s’appelle Masamichi Kono et il est secrétaire général adjoint de l’OCDE. Le domaine où la Suisse est épinglée comme mauvais élève, c’est la biodiversité.

Oui, le pays tout beau, tout propre, tout en ordre, le Heidiland souvent présenté comme une sorte de jardin extraordinaire, pour ne pas dire de petit paradis terrestre qu’on nous envie dans le monde entier, ce pays-là mène la vie dure à toute sorte de créatures.

A commencer par les reptiles et les amphibiens. Pas les plus beaux spécimens certes de la gent animale. Tous plus moins gluants, rampants, sauteurs et coassants. Et surtout beaucoup moins emblématiques, beaucoup moins immédiatement suisses que nos chamois incrustés dans le paysage depuis l’éternité. Beaucoup moins uniques que nos chèvres bicolores ou nos moutons à nez noir. Se déplaçant et vivant enfin, avec nettement moins d’allure et d’indépendance que le loup ou le lynx, si efficacement protégés.

Oui, la Suisse des vipères et des crapauds souffre. Ces bestioles, il faut dire, ne font pas grand-chose pour se rendre sympathiques. Pour s’insérer dans le folklore local. Impossible déjà de leur mettre des jolies cloches au cou. Jamais un lézard des murailles ne s’appellera Marguerite ni un crapaud commun Azalée. Essayez-donc de traire un triton, fut-il des Alpes.

Les chiffres qui figurent dans le rapport de l’OCDE le montrent bien: la Suisse est un pays de et pour les mammifères. 79% des reptiles et 62% des batraciens y sont en effet considérés comme menacés, alors que ce taux tombe à 36 % pour les mammifères.

Pas de quoi pour autant alarmer le bon peuple. Le Suisse n’est pas du genre à se prendre la tête pour des crapauds et des serpents. Un autre chiffre le montre: 74% des habitants de ce pays jugent la situation de la biodiversité chez nous satisfaisante. C’est qu’en matière de faune nous avons des préférences très bien établies.

Pour s’en convaincre, pas besoin de citer la fameuse envolée du père Hugo dans la Légende des siècles:

«Gloire au chaste pays que le Léman arrose!
À l’ombre de Melchthal, à l’ombre du Mont-Rose,
La Suisse trait sa vache et vit paisiblement.
Sa blanche liberté s’adosse au firmament.»

Bref chez nous quand la vache va, tout va. Tant pis si, comme le faisait remarquer le journaliste Adolphe Ribordy, «on peut affirmer sans crainte de se tromper que sur cent Suisses il en reste à peine trois qui sauraient traire de leurs mains».

Le problème vient d’ailleurs peut-être en partie de là. La disparition des zones humides mais aussi des pâturages et des prairies rend la vie des  amphibiens et des reptiles nettement plus aléatoire. Certes le Conseil fédéral vient d’approuver un «plan d’action biodiversité». Mais en attendant les engagements internationaux pris par la Confédération en 2010 dans le cadre de la Convention sur la diversité biologique ne sont pas respectés: le pays compte 6,2% d’aires terrestres protégées alors que l’objectif à atteindre était de 17%.

Directeur de l’Office fédéral de l’environnement, Marc Chardonnens, dans Le Temps, invoque pour justifier ces mauvais résultats une forte pression démographique, avec une population qui a augmenté depuis 15 ans de 1,2 millions d’habitants. Plus de bipèdes, plus de citoyens, plus de contribuables, moins de grenouilles, l’équation parait impitoyable et le match joué d’avance. A moins que la grenouille ne se décide enfin à se faire plus grosse que la vache