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Parmelin notre contemporain

On peut bien moquer son allure et son phrasé: le ministre de la défense apparaît de plus en plus comme un homme très en phase avec son temps. On s’en réjouira modérément.

Du pain et des jeux donc. Ah non, pardon, des armes et des jeux. Nous sommes quand même dans un pays sérieux qui sait bien où se cachent les valeurs authentiques, où se nichent les véritables priorités. Le combat et la compétition ne sont pas de vains mots mais des objectifs exaltants qui font dresser les poils des vrais gens, ceux qui en ont.

Et cela tombe bien. Des nouveaux avions militaires pourraient être achetés et des joutes hivernales olympiques organisées. Tout cela pour la petite somme de 9 milliards et dans les mains calleuses de l’inimitable Guy Parmelin. On peut toujours se gausser de sa rhétorique claudicante, de ses pataquès et tête-à-queue germano-vaudois: n’empêche, pour les choses qui comptent, qui comptent vraiment, c’est chez lui que ça se passe.

Prenez les Jeux, ce Sion millésime 2026 dont certains mauvais esprits, rongés de pessimisme et de jalousie, voudraient que déjà il sente le bouchon. Naïfs que nous étions! Nous qui croyions, dans notre aveuglement de simples citoyens, pour ne pas dire de simplets tout court, qu’il s’agissait là bêtement de sport. C’est-à-dire de vaine sueur et d’encore plus vaine gloriole. On avait tout faux.

Heureusement le vigneron de Bursins, dans sa sagesse qui sent bon le sulfate et le sarment brûlé, est là pour rétablir la vraie vérité: «Les Jeux olympiques d’hiver ne sont pas seulement un projet sportif mais c’est aussi éventuellement et même certainement un projet national.»

On dira que cette oscillation entre le «éventuellement» et le «certainement» trahit un méchant doute, un manque de conviction à peine déguisé et qu’on a connu marchand de soupe plus affûté, bateleur plus convaincant. Prudence paysanne!, répondront les affidés du caporal Parmelin. Ne pas vendre les anneaux avant de les avoir décrochés.

Qu’importe d’ailleurs: face à un projet national, sans qu’il soit besoin de préciser sa nature, ce seul mot de «national» devant suffire à clore les bouches les plus acerbes, foin d’arguties. On ne va quand même pas pinailler pour des histoires de budgets explosés qui ont été le lot de toutes les dernières joutes olympiques, spécialement les hivernales. Face à un projet national, que les épiciers et les apothicaires rangent leurs calculettes et hissent le drapeau.

Parmelin le dit, droit dans ses bottes de plastique: «Le Conseil fédéral est convaincu que ces Jeux sont synonymes de progrès pour notre pays, pour notre vie commune, pour le tourisme et pour de très nombreuses choses encore.» Ces «très nombreuses choses encore», nul doute que le contribuable piaffe de les découvrir. Pour mieux les apprécier à leur juste valeur, qui risque d’être élevée.

On retrouve la même sérénité toute parmelinienne, frappée du sceau sans réplique de la tautologie, lorsqu’il s’agit de défendre l’achat de nouveaux avions de combats. Alors même que le peuple a refusé très nettement des emplettes largement moins coûteuses, celles des malheureux Gripen. Que les nouvelles et vraies menaces – cyberattaques, terrorisme islamique – semblent ne pas devoir prioritairement se combattre à coups de F/A-18, de Rafale ou de dieu sait quelles autres machines volantes hors de prix.

Or que nous dit, très tranquillement, l’oracle de la Côte? «Le Conseil fédéral ne s’attend pas à ce que notre pays soit attaqué l’année prochaine. Mais que nous réserve l’avenir ces prochaines années? Les 5, 10, 20 prochaines années? Personne ne le sait.» Un enfant comprendrait le raisonnement: dans le doute ne t’abstiens surtout pas, mais achète-toi de beaux avions.

Crainte de l’avenir érigée en système de pensée, foi exclusive en la force vrombissante et le divertissement de masse: sous ses airs terriblement surannés, son accent d’un autre âge, il semble donc qu’il n’y ait personne de plus férocement contemporain que Guy Parmelin.