GLOCAL

Irrespirable?

Yannick Buttet est sans doute indéfendable. Les accès de moralisme soudain déclenchés par cette affaire ne sont pourtant pas tous franchement rassurants. A hypocrisie, hypocrisie et demie.

Yannick Buttet est indéfendable. Ça tombe bien: personne ne le défend. Même pas l’armée, qui ne nous avait pas habitués à une si vertueuse et surtout si prompte réaction. La voilà qui participe à cette curée rondement menée en retirant son arme de service à son désormais infamant lieutenant-colonel. Des fois sans doute qu’il irait nous faire un carnage sur la Place fédérale. D’un Valaisan qui ne tient pas l’alcool, ne faut-il pas tout attendre?

Donc personne ne défend Buttet. A part cet avocat zurichois spécialisé dans les politiciens à la dérive, un créneau appelé sans doute à un bel avenir. Sans qu’on soit sûr qu’il fasse se réjouir d’un monde pas trop respirable, constitué de bureaux des plaintes à tous les étages et d’hommes de loi faisant leur grasse pelote à esquiver les tirs de barrage des kalachnikovs médiatiques.

On pourrait trouver aussi ennuyeux, voire léger, que la plupart des témoignages, émanant pour l’essentiel de journalistes parlementaires ou d’élues, soient anonymes. On ne voit pas bien dans le contexte suisse et l’ambiance actuelle, quelle menace empêcherait les femmes victimes de harcèlement sous la coupole de le dénoncer haut et fort.

La même remarque vaut pour les commentaires autour de l’affaire. Quand ils sont faits à visage découvert, cela donne en général des propos nettement plus sereins. Comme ceux de la verte Adèle Thorens: «Pour les gens qui ont un problème avec l’alcool, les sessions des Chambres fédérales peuvent représenter un moment délicat. Les occasions de boire y sont nombreuses. Mais l’alcool n’excuse pas tout. On peut avoir un problème d’alcool sans avoir de problèmes de comportement envers les femmes et inversement.»

A contrario, ce que nous raconte «un élu fédéral de droite» paraît empreint de vindicte grossière et de moralisme surjoué: «Trouvez-vous normal qu’il continue à toucher ses indemnités de parlementaire? Est-il en incapacité de travail? Il pourrait aussi ne pas siéger en se portant absent et ne rien percevoir. C’est une question de dignité.» Tant qu’à donner des leçons de haute vertu, la dignité pourrait consister aussi à jouer bas les masques.

On pourrait enfin réfléchir tranquillement aux propos à contre courant tenus dans Le Temps par l’avocate genevoise Anne Reiser, rappelant une ou deux solides évidences trop vite passées à la trappe dans l’affaire Buttet.

A savoir que, primo, «dans notre société, tout le monde se sent victime et personne n’est responsable de rien» et qu’il sera donc «difficile, pour les autorités judiciaires, de démêler le bon grain de l’ivraie.» Que, secundo, «les femmes qui n’ont pas rétorqué ne trouveront pas dans la dénonciation le réconfort qu’une réplique cinglante leur aurait apporté. D’autant plus que c’est un phénomène de mode, amplifié par les réseaux sociaux, la presse et la morale ambiante.»

Que, tertio, «les hormones imposent des comportements différents. Les femmes qui le comprennent abordent les hommes avec moins de peur et plus de bienveillance.» Que, quarto, et cerise sur le gâteau, «notre civilisation doit renouer avec le dialogue, ou prendre le risque d’une montée en puissance de l’arsenal législatif qui sera toujours en retard d’une peur ou d’un scandale.»

Que penser enfin de tous ceux qui pointent triomphalement le hiatus entre le comportement du parlementaire Buttet et les convictions conservatrices qu’il défend en matière de société, bref entre ses convictions chrétiennes et son attitude à l’égard des femmes? On pourra pardonner à ces cohortes de vertueux improvisés de ne pas savoir leurs évangiles sur le bout de doigts. De n’avoir pas médité trop longtemps cette forte, inoubliable et très chrétienne sentence: «Que celui qui n’a jamais péché lui lance la première pierre.»