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Point comme nous

Sous ses dehors de paradis terrestre très organisé, la Suisse sait prendre parfois des petits airs de royaume du père Ubu. Florilège.

Que penser d’un pays où les médicaments sont si onéreux que le gouvernement, plutôt que de s’en prendre à l’avidité notoire de l’industrie pharmaceutique, envisage d’autoriser les caisses maladie à rembourser pilules et potions magiques qui auront été achetées à l’étranger deux ou trois fois moins cher? Que baisser les bras est son sport national?

Que penser d’un pays où l’asile représente un business tellement comme un autre qu’un mandat de plusieurs millions peut être attribué sans appel d’offre à une société dont un responsable use de violence envers les requérants et l’autre fait du prosélytisme en faveur de l’état islamique, le tout sur fond de salaires au noir? Que ses valeurs sont décidément trop subtiles pour que les barbares venus d’ailleurs puissent les assimiler?

Que penser d’un pays où un congé paternité de quatre semaines est considéré comme pénalisant pour l’économie, mais pas 18 semaines de cours de répétition? Qu’il a le patriotisme plus gros que le ventre?

Que penser d’un pays dont la télévision d’Etat, menacée par une initiative contre la redevance, en est réduite, pour justifier le maintien de ladite redevance, à s’autoproclamer indépendante de l’Etat, précisément la situation dans laquelle la mettrait, mais cette fois pour de vrai, la suppression de cette même redevance? Qu’Ubu est son prophète?

Que penser d’un pays où le ministère de la Défense en est encore à des doctrines militaires du siècle passé, prêt à claquer des milliards en avions de combats et en équipements au sol, alors qu’aucun scénario même de très loin n’en impose la nécessité?

Que penser de ce même pays, qui délaisse au contraire les menaces réelles et contemporaines – cyberattaques et terrorisme – contre lesquelles rien, ou presque rien, n’est envisagé ni financé? Qu’il laisse le sens des priorités aux rêveurs et à Interpol?

Que penser d’un pays dont le plus célèbre des théologiens musulmans, accusé de diverses violences et agressions contre des dizaines de femmes, y compris ses plus jeunes élèves, choisit pour défenseur le plus célèbre et le plus médiatique des avocats, connu pour son islamophobie assumée et proclamée? Qu’il est la preuve incarnée de la justesse de certains proverbes latins, du genre «asinus asinum fricat»?

Que penser d’un pays dont certaines villes s’offusquent, pour des motifs essentiellement idéologiques, des demandes de concession d’autocaristes souhaitant établir des liaisons par la route, plus longues mais moins chères que les mêmes trajets en chemin de fer monopolistique, et qui bénéficieraient avant tout aux jeunes désargentés et aux familles disposant de moyens limités? Que sa conception de la mobilité est que les pauvres n’ont qu’à se servir de leurs pieds?

Que penser d’un pays fier de ses Alpes, de ses montagnes et de ses champions de ski et qui en est réduit à compter sur l’initiative de milliardaires étrangers pour sauver ses stations hivernales en difficulté? Que les promoteurs égyptiens y réussissent mieux que les théologiens de même origine?

Que penser d’un pays qui se considère largement comme la crème du monde, et qui ne voit guère que des Jeux Olympiques pour le faire dûment savoir au reste de l’univers, peuplé certes d’ignares et d’incultes croyant souvent qu’on leur parle de la Suède? Que personne n’y détient le pouvoir, surtout pas l’imagination?

Oui, que penser d’un tel pays? Sans doute que sa devise, gravée dans le gneiss du Cervin et les meules de Gruyère, doit ressembler à quelque chose comme «y en a point comme nous».