Ménager l’électorat nationaliste sans froisser l’Union européenne: la Suisse des bilatérales danse de plus en plus sur la corde raide.
Pas facile d’être en dehors de l’Europe et en même temps au milieu. La Suisse, défiant à la fois l’histoire et la géographie, en fait chaque jour la pénible expérience.
On peut donc assister au traumatisant spectacle d’une Confédération forcée de ménager la chèvre UDC et le chou de Bruxelles. De rester en bons termes avec le grand voisin qui nous entoure et qui reste à la fois et notre meilleur client et notre principal fournisseur. Tout en ne donnant pas trop de salade à mâcher à un électorat nationaliste capable en cas de mauvaise humeur de mettre à bas, démocratie directe oblige, tout le fragile édifice des bilatérales.
Ainsi, rien qu’à imaginer que la prochaine initiative UDC puisse aboutir, le Conseil fédéral sent des frissons glacés lui secouer l’échine. Il faut dire que ce nouveau texte patriotard ne fait pas dans la nuance excessive: il entend simplement graver dans le marbre la prééminence du droit suisse sur le droit international et donc européen. Aller ensuite négocier quoi que ce soit avec en mains ce seul bâton merdeux brandi sous le nez de la Commission européenne, relèverait de la mission suicide.
Surtout qu’il y a tant de choses à quémander devant l’Union européenne, genou fléchi, en se frappant la poitrine, avec même s’il le faut un sac de cendres à se renverser sur la tête. Comme par exemple l’accès au nouveau marché des services financiers de l’UE, qui répond à l’engageante appellation de «Mifid II».
Il faut dire qu’à force le serpent de mer des bilatérales finit par se mordre la queue: pour ne pas braquer l’UDC on freinera des quatre fers sur la notion d’accord institutionnel, que l’UE appelle de ses vœux depuis des lustres, mais qui agiterait le spectre des juges étrangers avec lequel nos blochériens candides aiment tant à se faire peur. Ce faisant on sauvera peut être la votation sur la prééminence du droit suisse, permettant au droit international, donc aux juges étrangers, de garder la main. On aurait envie presque de crier au fou.
Ces perpétuels numéros de danseur sur la corde raide conduisent à des situations qui ne se contentent plus de frôler le ridicule, mais l’embrassent à pleine bouche. Tel le porte-parole du Conseil fédéral, André Simonazzi, refusant devant la presse de dire si oui ou non la Suisse verserait à nouveau la contribution volontaire dite du «milliard de cohésion» à destination des pays de l’Est membres de l’Union européenne.
Histoire de garder cet atout dans la manche pour les discussions de marchands de tapis que sont largement devenues les bilatérales. Et surtout faire amicalement pression sur le président de la Commission Jean-Claude Juncker en visite à Berne. Motus donc et bouche cousue, «pendant une semaine, dans l’intérêt du pays», dixit André Simonazzi.
Un intérêt qui semble ne plus pouvoir être défendu sans risquer des migraines en série. Rien d’étonnant: comment a-t-on pu imaginer un instant qu’il serait simple de réclamer sa part du gâteau lors d’un banquet auquel on a refusé d’être invité? Surtout après avoir prétexté non sans morgue que les participants et les cuisiniers n’avaient pas le niveau.