KAPITAL

L’électrosmog a fait une première victime: Diax

La notoriété de Diax a coûté près de 100 millions de francs suisses. Mais dans six mois, la marque aura complètement disparu, tuée par ses propres antennes. Enquête sur les mobiles du meurtre.

En deux ans à peine, la marque Diax avait réussi à s’imposer dans le paysage suisse. Son nom était quasiment entré dans le langage courant. A coups de campagnes publicitaires massives, l’opérateur était parvenu à faire connaître son logo (diAx), sa couleur (le rouge foncé) et son préfixe (076) auprès de l’ensemble de la population, ou presque. Cela lui a coûté très, très cher.

Dans six mois, pourtant, tout cela aura disparu. A la suite de la fusion avec Sunrise, la nouvelle direction a décidé d’abandonner totalement la marque Diax. L’enterrement se déroulera en trois phases. Dès le mois prochain, le trafic téléphonique se fera sous le nom de Sunrise – lequel bénéficiera d’une nouvelle campagne de pub en avril. Les enseignes Diax seront enlevées des points de ventes en mai et remplacées par le sourire Sunrise. En août, il ne restera plus qu’à adapter les portails internet et la marque Diax aura complètement disparu, partie en fumée.

Comment en est-on arrivé là? Diax avait dépensé près de 100 milions de francs suisses pour faire connaître son nom (c’est ce que disent les professionnels de la branche). Rien n’était trop beau pour développer la marque aux quatre lettres. Des personnalités comme Tony Rominger, Geraldine Chaplin, Michael von der Heide et, curieusement, Bernard Pichon avaient été recrutés à grands frais pour ses campagnes. Même Roger de Weck, journaliste réputé, avait renoncé à la discrétion qu’exige son métier pour participer à la pub de l’opérateur privé. Près de 40 millions auraient ainsi été investis chaque année depuis 1998 dans le marketing de Diax.

En novembre dernier, lors de l’annonce de la fusion avec Sunrise, on a d’abord cru que les deux marques allaient coexister sous le même toit. Cela paraissait logique. Même la société mère TDC (Tele Danmark Communication) entendait conserver les deux appellations: Sunrise pour la téléphonie fixe et Diax pour le mobile. On imaginait déjà les nouvelles affiches : «Diax: a Sunrise Company».

Ce choix paraissait à la fois naturel, équilibré et économiquement avantageux. Car si Sunrise bénéficiait d’une bonne image auprès du public, le nom de Diax était plus largement connu. «C’est vrai: la marque Diax disposait d’une meilleure “brand recognition” (reconnaissance de marque, ndlr) que Sunrise», admet Monika Walser, porte-parole de la nouvelle compagnie. Alors pourquoi l’abandonner totalement?

«Parce que Diax n’est pas un nom assez émotionnel», se borne à répondre la porte-parole. En coulisse, on ajoute qu’il s’agit d’une marque beaucoup trop technique qui évoque, ô frayeur, «quelque chose en rapport avec des ingénieurs, un peu comme Swisscom ou Cablecom».

Ce n’est pas tout à fait faux. A l’origine, Diax signifie «diagonal axis» («axe diagonal»). Ce nom avait été choisi pour désigner la compagnie de télécom née en 1996 d’une alliance entre les six plus grandes sociétés suisses d’électricité. Après avoir obtenu une licence de téléphonie mobile, Diax a commencé à installer ses antennes un peu partout dans le pays. «C’est là que les choses ont commencé à aller mal», explique un collaborateur.

L’installation de ces antennes a donné lieu à de vives controverses. L’opinion publique s’est inquiétée des effets d’un rayonnement appelé «électrosmog» lié aux relais GSM. Et du coup, le nom Diax a été associé à toutes ces mauvaises vibrations. La compagnie avait beau tapisser les villes d’affiches en format mondial montrant des gens au sourire dentifrice (ou des portraits grenat signés Michel Comte): dans l’esprit des consommateurs, Diax restait, sans même le savoir, «la marque des vilaines antennes».

Peu après la fusion avec Sunrise, la direction décidé de mandater la société de conseil HTP, liée à l’Université de Saint-Gall, pour réfléchir à l’appellation de la nouvelle entité. Une équipe du professeur Torsten Tomczak s’est mise à étudier les connotations des deux marques. «Nous avons compulsé plusieurs études de marché, explique Stephan Feige, collaborateur de HTP. Notre but était d’abord de déterminer s’il fallait adopter un tout nouveau nom, conserver les deux marques ou alors n’en choisir qu’une seule. Et, le cas échéant, de déterminer laquelle.»

«Des entretiens téléphoniques ont été menés avec 400 personnes», poursuit Stephan Feige. C’est à ce moment-là que les chercheurs se sont rendus compte à quel point la marque Diax était connotée négativement. Dans l’imaginaire collectif suisse, ces quatre lettres évoquent, paraît-il, des images d’antennes métalliques et de radiations nocives.

Les autres opérateurs mobiles utilisent exactement la même technologie mais ils n’ont pas ce problème d’image: Swisscom a installé ses antennes de manière progressive bien avant qu’on ne commence à parler d’électrosmog. Quant à la compagnie Orange, elle a été épargnée par la controverse dans la mesure où elle a loué l’infrastructure de Swisscom; de plus, elle a su développer une publicité «nature» à mi-chemin entre le yaourt et l’eau minérale, n’hésitant pas à en rajouter des tonnes dans l’imagerie écolo-mystique.

Du coup, toute l’affaire des antennes est retombée sur Diax. La société avait pourtant de beaux arguments à faire valoir pour conserver sa marque après la fusion. Elle disposait d’un haut degré de mémorisation («brand recognition» meilleure que Sunrise), d’un transfert d’image avec une bonne douzaine de vedettes du pays, d’un nom en quatre lettres qui fonctionne dans toutes les langues sans oublier une adresse internet en .com (ce qui n’est pas le cas de Sunrise). Mais face au spectre de l’électrosmog, ce capital n’a pas pesé bien lourd.

L’abandon du nom Diax coûte cher, mais à long terme, l’investissement s’avérera sans doute rentable. Car dans le monde merveilleux des marques, plus encore que la nocivité, c’est l’image de la nocivité qu’on redoute.