CULTURE

Le nouvel album de Daft Punk: une bombe

C’est le disque electro le plus attendu de l’année. Un disque d’avant-garde, nostalgique et outrageusement commercial. Les puristes vont sans doute le détester. Largeur.com a pu l’écouter en primeur.

Quand le premier album de Daft Punk est paru en 1997, toute la scène electro s’est inclinée en signe de respect. De Londres à Detroit, l’internationale des DJ’s a applaudi ce travail artisanal baptisé «Homework». Pour la première fois, un duo parisien réussissait l’équilibre parfait entre énergie house et bricolage hip hop.

Ce disque devait donner naissance au mouvement qu’on appelle «french touch», une vague de productions françaises à la fois élégantes, inventives et surtout exportables. Dans la foulée, on a vu apparaître Air, Mr Oizo et son Flat Eric (de la pub Levi’s). On a assisté au retour impressionnant de Mirwais. Mais le premier album de Daft Punk est resté un objet unique.

Avec leurs synthés analogiques et leurs samplers, Thomas Bangalter et Guy-Manuel de Homem-Christo ont réussi à créer des hymnes pop («Da Funk», «Around The World») sans entamer leur crédibilité. Ils sont devenus des locomotives de tendances. Leur approche du son a inspiré les meilleurs DJ’s ainsi que nombre de stylistes et d’artistes d’avant-garde.

Au rayon commercial, ils ont su s’entourer d’une machinerie efficace, bénéficiant de la force de frappe de Virgin et des conseils avisés de Daniel Vangarde, père de Thomas et producteur de disco pompeuse des années 70.

Résultat: le groupe est devenu «culte» dès son premier album. Depuis 1997, il n’a publié sous son nom qu’un DVD réunissant un concert filmé et quatre clips (mis en scène par les réalisateurs cotés que sont Spike Jonze, Michel Gondry et Roman Coppola).

Plus discrètement, les deux Daft ont réalisé quelques remixes et enregistré des projets parallèles comme le tube «Music Sounds Better With You», signé Stardust. On attendait la suite avec impatience.

Après «One More Time» sorti en novembre en guise d’avant-goût, le nouvel album arrivera dans le commerce à la fin mars. Il contient 14 titres que Largeur.com a pu écouter en primeur dans les locaux de la maison EMI. Verdict: c’est une bombe.

Impossible d’emporter l’objet chez soi – le distributeur craint les copies pirates et on le comprend. Le disque est déconcertant, très addictif et très, très commercial. Il va être converti en MP3 en moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire.

Les amateurs d’electro abstraite vont sans doute le détester. Cet album dont on ne connaît pas encore le titre recycle sans complexe tous les clichés musicaux des années 70 et 80 avec une dextérité étonnante. On pense à des hackers qui découvriraient l’archéologie. L’art du collage appliqué au hit parade. C’est Kurt Schwitters au Studio 54!

Harmonies de rock FM, voix italodisco, séquenceurs en furie, guitares de heavy metal…. Un mix audio qui répond à l’assemblage visuel de la pochette de «Homework», comme une chambre d’adolescent avec ses posters, ses disques et ses badges des groupes préférés.

En écoutant les 14 titres, on s’aperçoit que les samplers ont changé de fonction. L’échantillonnage n’est plus seulement formel: il est devenu référentiel, aussi ludique qu’un jeu de piste. Ce disque de Daft Punk pourrait inaugurer une esthétique post-Napster avec, en guise de fil rouge, un usage intensif des arpèges.

Visite des plages encore anonymes qui constituent l’album, avec impressions à chaud et commentaires en jargon technique.

1. L’album s’ouvre sur «One More Time», déjà sorti en single, avec la voix de Romanthony passée au vocoder et des harmonies pompeuses qui renvoient au «Can You Feel It» des Jacksons. Et le plus long break de l’histoire.

2. Un son de cloche qui retentit comme «Hell’s Bells» d’AC/DC, un rythme concassé emprunté au Daft Remix de «Mothership Reconnection» (Scott Grooves, 1998) et surtout, un solo de guitare hard en arpège qui réveille le spectre du pire Van Halen. Effrayant, mais drôle.

3. Il s’agit apparemment d’un hommage au «Video Killed The Radio Star» des Buggles. La voix du chanteur a été filtrée par un interphone et on distingue un vieux piano électrique Wurlitzer enfoui sous la neige: c’est Supertramp!

4. Encore une voix passée au vocoder et un rythme syncopé: un titre à écouter en visionnant le premier «Star Trek» (1976).

5. Un moment fort de l’album. La boîte à rythme a été programmée de manière volontairement maladroite, comme à l’époque d’avant l’invention de la house. On pense aux vieux tubes de Human League ou de Propaganda. Et puis arrive un séquenceur acide, suivi par une rythmique funk accélérée. On croit reconnaître quelques échos du «Blame It On The Boogie» des Jacksons. Irrésistible.

6. Aucun doute: c’est un hommage à «I’m Not In Love» de 10 CC, en version instrumentale. Un slow baveux comme on n’en fait plus. La nostalgie d’aujourd’hui vaut bien mieux que celle d’hier.

7. Ça commence comme de la mauvaise techno allemande et brusquement, un arpège de synthé hi-energy envahit l’espace. Souvenirs de «Bizarre Love Triangle». On se retrouve dans une discothèque de Berlin-Est d’avant la chute du Mur.

8. Une petite séquence en hommage à Moroder, trois secondes samplées en boucle. Il ne manque plus que la voix d’Irene Cara et on repart pour une séquelle de «Flashdance».

9. Ça commence par des onomatopées de vocoder et ça se poursuit en eurodisco new-yorkais, style Bobby O de 1982. Le titre? «The Right One», sans doute. Le chanteur fredonne «I want you more than anything in my life» avec un accent français.

10. Un titre cousin de «One More Time», avec rythmique funk et arpèges de harpe synthétique. On a envie de chanter «saturday night, saturday night» et de courir dans la rue comme Kevin Bacon dans «Footloose». La laideur s’estomperait-elle avec le temps?

11. Et voici maintenant un hommage au Rondo Veneziano, avec boîte à rythme SP 12 programmée en 1985 (encore) et des arpèges de synthé enfilés comme des perles de 1986 (toujours). La lassitude pointe à l’horizon.

12. Autre moment fort de l’album : une splendide tranche de breakdance à mi-chemin entre le «Rock It» de Herbie Hancock et un tube de Zapp qui aurait été mal remixé par Afrikaa Bambaataa. La boîte à rythme multiplie les dérapage contrôlés. A la fin du morceau, c’est le piano électrique qui se désaccorde, comme dans la douce balade de Dorothy Parker racontée par Prince.

13. Fétichisme du laser : les musiciens ont reproduit artificiellement les sautillements d’un CD rayé. Ou alors les bégaiements d’un MP3 mal coupé. On a l’impression qu’un chimpanzée zappe entre deux stations de radio et on a envie de s’emparer du transistor pour monter le volume.

14. Au moment où l’auditeur commençait à trouver le temps long, voici la voix de Romanthony qui confirme: «Too Long». Un titre a capella, avec claquements de doigts synthétiques.

C’est la fin de l’album. On se dit alors qu’on n’a rarement entendu une musique nostalgique aussi résolument tournée vers l’avenir. Le nouveau Daft Punk, c’est de l’avant-garde régressive ou plutôt: du rétrofuturisme en version audio.