Ras le bol du baby-boom. Des Américains sans enfants se regroupent en associations pour défendre leur mode de vie. A quand une déferlante «child-free» en Europe?
Etrange quand même… Alors que les homosexuels réclament le droit de devenir parents, des associations d’hétéros apparaissent aux Etats-Unis pour revendiquer celui de ne pas se reproduire. L’une des plus connues a choisi de s’appeller «No Kidding» et se dit «lieu de rencontre pour couples sans enfants et célibataires».
L’association a vu le jour en 1984 à Vancouver et s’est étendue à l’ensemble du Canada et des Etats-Unis. D’autres regroupements du même type ont vu le jour depuis comme «Childfree» ou «Childless by Choice».
Consulter leurs sites Internet, c’est découvrir leur préoccupation centrale, souvent terrifiée: non, faut-il vraiment renoncer à tout ça quand on veut avoir un enfant? Suivent des questionnements multiples, du style «le monde a-t-il besoin de plus d’enfants?», «que dit-on des couples sans enfants?» ou encore «est-ce difficile de se faire stériliser?». Ces interrogations sont à vrai dire assez dissuasives pour qui oublie que l’amour, maternel en particulier, est capable de déplacer des montagnes.
Aux yeux des membres de cette nouvelle tribu adepte de la vasectomie et des trompes ligaturées, l’enfant semble représenter un fardeau qui met fin à une vie sexuelle épanouie, à un sommeil réparateur, aux week-ends entre copains, aux vacances aventureuse et autres loisirs insouciants. Faut-il donc dorénavant être riche et célèbre pour se voir métamorphosé-e par la naissance de son enfant, comme Vanessa Paradis qui célèbre, avec «Bliss», sa fille Lily Rose Melody et son nouveau statut familial? Ou encore Madonna qui chante elle aussi la rédemption par la maternité?
Les filles des baby-boomeuses ne sont de toute évidence pas en train de booster le taux de fécondité des pays occidentaux. Ceux-ci connaissent un seuil inférieur à celui du remplacement des générations, soit 2,1 enfants par femme. Se perpétuer n’est plus au centre des préoccupations des familles, c’est désormais une question socio-politique. Exemple, la Suisse où le rétrécissement de la pyramide des âges menace l’AVS.
Curieuse d’apprendre si les militants américains comptent élargir leur combat à l’Europe, j’ai contacté Jerry Steinberg, le fondateur de «No Kidding». Il m’a appris que le magazine «Elle» va publier prochainement un article sur «No Kidding». «Du coup, nous pourrions très bien voir plusieurs sections se créer en Europe d’ici la fin de l’année. Je suis certain que l’Europe est prête à accueillir ce genre d’associations. Beaucoup de gens ne veulent pas ou ne peuvent pas avoir d’enfants et ils cherchent des amis avec qui parler d’autre chose».
Faisant preuve d’un certain courage avant-gardiste, la rédactrice en cheffe du magazine alémanique «Annabelle» vient de lever le voile sur son non-désir d’enfant. Dans un éditorial intitulé «Kinderwunschlos glücklich» (heureuse sans désir d’enfant) (n.20/00), Christa Löpfe-Feldmann décrit son expérience de femme sans enfant. Elle raconte comment, lorsque elle déclare ne pas avoir d’enfant, les gens changent de sujet et semblent éprouver une certaine gêne. Comme s’ils avaient le sentiment de remuer un couteau dans la plaie.
Christa Löpfe-Feldmann avoue ne jamais avoir éprouvé de désir d’enfant. Petite, elle jouait aux Lego plutôt qu’à la poupée. «Peut-être une partie de mes chromosomes X s’est-elle envolée, cela constituerait une explication génétique». La famille n’en est pas moins importante pour elle et au sein de sa rédaction, la journaliste alémanique a trouvé une grande famille qui lui permet de ressentir une véritable fierté maternelle. Bref, une femme épanouie s’exprime.
Reste que lorsque les bébés n’ont plus la cote, les gouvernements s’alarment et brandissent le spectre de l’apocalypse démographique. Depuis quelques années, le canton du Jura encourage sa population à se reproduire pour s’assurer un avenir radieux. L’incitation reste peu fructueuse: le canton a perdu 177 âmes en 1999.
Plus loin d’ici, Singapour tente d’assurer le salut démographique de la patrie. Les mesures prises depuis 1987 pour faire remonter le taux de natalité qui reste l’un des plus bas du monde (1,4) ne semblent pas suffire. Et le premier ministre Goh Chok Tong ne cesse de marteler: «Nous avons besoin de bébés !».
Dernière mesure en date: encourager les citoyens à faire l’amour dans leur voiture. Le Strait Times, journal proche du pouvoir, a même publié une liste des lieux sombres, isolés et romantiques propices aux ébats. Mais, précise-t-il, «il est impératif et obligatoire de recouvrir préalablement les vitres du véhicule de papiers opaques». L’avenir dira si cette initiative saura convaincre jusqu’aux adeptes locaux du «No Kidding».