Un concours organisé à l’intention des écoliers suisses a révélé d’étranges différences entre enfants romands et alémaniques. Des chercheurs ont été chargés d’enquêter. Qui osera ouvrir la porte?
Florent Teuscher, domicilié à Saignelégier (Jura), est un écolier heureux. A neuf ans, il a remporté le premier prix d’un concours de scénario, ce qui lui a permis de tourner son premier court métrage, «La malédiction du miroir».
Le concours en question, organisé par la Lanterne magique, n’a pas seulement révélé le talent imaginatif de Florent. Il a aussi donné lieu à un constat inattendu à propos des différences entre écoliers romands et alémaniques.
En 1999 donc, la Lanterne magique – un ciné-club réservé aux enfants qui connaît un immense succès – avait proposé à ses jeunes spectateurs de terminer le scénario d’un film. Les cinéastes en herbe avaient trois pages à disposition pour raconter la fin d’une histoire donnée.
Quel prix pour le gagnant? «Si le jury décide que ta fin à toi est vraiment la meilleure de toutes, tu pourras alors en faire un film… Oui, un vrai film, avec un vrai cinéaste! Ce film réalisé d’après ton scénario sera ensuite montré partout à la Lanterne Magique.»
Le scénario commençait ainsi: «Imagine que tu pars sans tes parents en vacances chez un très gentil cousin. Tu passes ton temps à faire tout ce qui te plaît… Il y a juste une chose qui t’ennuie: on t’a interdit d’ouvrir une porte alors que ton cousin, ses parents et même le chien osent la franchir. Le plus mystérieux, c’est qu’ils y vont toujours seuls et lorsqu’ils ressortent, ils ont l’air tout drôles. Un matin, tu n’y tiens plus! Sans te faire voir, tu te décides à ouvrir la porte interdite… Que va-t-il se passer?»
Près de 800 petits scénaristes suisses ont envoyé le fruit de leur imagination à la Lanterne magique. Dans chaque région linguistique, un jury a dépouillé les résultats.
En lisant ces textes, le jury alémanique est resté perplexe devant l’apparent manque d’audace et d’imagination des écoliers suisses allemands. Comment expliquer qu’eux seuls aient respecté à la lettre l’interdiction d’ouvrir la porte, alors que les Romands et Tessinois l’ont ouverte systématiquement?
Florent Teuscher, le vainqueur, n’a pas hésité un instant à transgresser l’interdit. Son seul problème était: quel moment choisir pour ouvrir la porte afin de ménager le plus de suspense possible dans le scénario?
Reste à savoir pourquoi Hans-Peter, Jakob et les autres écoliers alémaniques ne se sont pas autorisés à franchir le pas.
Pour tenter une explication, on peut se référer à Emmanuel Todd, un brillant intellectuel français, historien, démographe et anthropologue qui s’attache depuis plus de vingt ans à démontrer l’influence des structures familiales sur l’évolution des sociétés contemporaines.
En lisant son œuvre et en observant sa carte de l’Europe des structures familiales, on constate de grandes différences entre Suisse romande et alémanique. La famille caractéristique de la partie francophone est égalitaire et les relations parents-enfants y sont de type libéral.
La famille germanophone, en revanche, se caractérise par des relations parents-enfants de type autoritaire, observe Emmanuel Todd. Le fait de vivre dans une famille de type autoritaire induirait des comportements plus timorés face à des interdits.
Serait-ce là une piste? Pour tenter de cerner cette disparité entre écoliers romands et alémaniques, plusieurs membres du jury de la Lanterne magique ont proposé de soumettre la question a un institut de recherche universitaire bernois. Les résultats devraient être connus prochainement.
En attendant, l’analogie est tentante: l’entrée dans l’Europe représenterait-elle aussi une sorte de porte frappée d’interdit par-delà la Sarine alors qu’ici, elle titille notre curiosité? Dans ce cas, le scrutin qui nous attend l’an prochain pourrait bien devenir un remake pour adultes du concours de la Lanterne Magique…
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La Lanterne magique est un ciné-club pour enfants créé en 1992 par trois jeunes Neuchâtelois: Vincent Adatte, Frédéric Maire et Francine Pickel. Son but: permettre aux plus jeunes d’apprendre à découvrir le cinéma et ses secrets à partir des grandes émotions comme le rire, le rêve, la peur ou la tristesse.
Chaque année de septembre à juin, la Lanterne magique propose 9 séances pour seulement 30 francs suisses (25 francs pour les frères et sœurs) à tout enfant âgé de 6 à 11 ans.
Ce ciné-club compte aujourd’hui 24’000 membres répartis dans l’ensemble de la Suisse. Son succès a vite dépassé les frontières puisqu’il a essaimé en France, en Belgique, en Espagne et en Italie. Le site indique les 54 sections suisses).
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L’émission Les Zapp, sur la chaîne TSR2, évoquera le concours de la Lanterne magique le 7 novembre prochain.
Le film de Florent Teuscher tournera sur les écrans de la Lanterne magique en janvier.