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Un peuple agaçant

Le parlement veut une préférence nationale ultra light. L’UDC s’étrangle. Tout le monde s’invective, et chacun invoque la démocratie.

«Ultra light». C’est ainsi qu’a été qualifié par l’UDC le mécanisme de préférence nationale adopté à la Chambre basse. Un mécanisme qui entendait sortir de l’impasse créée par l’initiative blochérienne contre l’immigration massive, que le peuple avait acceptée un glacial dimanche de février.

Là où l’UDC réclamait, comme on le sait, des contingents et des plafonds de travailleurs étrangers fixés par la Suisse de façon tout à fait autonome, le Conseil national imagine plutôt un système complexe, progressif et dénué à peu près de toute autonomie. Avec un Conseil fédéral censé d’abord utiliser au maximum le potentiel de la main d’œuvre indigène. Puis exiger des entreprises qu’elles annoncent les postes vacants aux offices régionaux de placement. Et enfin prendre, si cela ne suffit pas, des mesures correctives, mais soumises à l’approbation d’un comité mixte composé de représentants de la Suisse et de l’UE.

Ultra light donc, admettons. Ce qui ne l’a pas été, ultra light, c’est le débat qui s’en est suivi. Ceux qui se plaignent à longueur d’année de la fadeur aseptisée de nos joutes politiques, comparées notamment aux corridas françaises, peuvent cette fois ranger leur désolation.

L’UDC a commencé par piquer, ou simuler, une crise de nerfs généralisée. «Ruine législative, violation de la Constitution, démocratie directe foulée aux pieds», s’est ainsi étranglé le chef de groupe Adrian Amstutz. Avec cette pique mortelle à la fin de l’envoi: «Vous vous couchez devant Bruxelles.» «Du néant, un profond mépris de la démocratie», renchérissait de son côté le genevois Yves Nidegger.

La perte de sang froid et la montée sur ses grands chevaux étant généralement des activités contagieuses, les répliques des bouilleurs de light ont été du même et fulminant tonneau. Le PS Cédric Wermuth s’est ainsi indigné des indignations agrariennes, jugeant les arguments de l’UDC «grotesques». Avec cette précision assassine: «On se croirait au jardin d’enfants. Et encore, c’est insultant pour les enfants.» Quant au PLR Kurt Fluri, il a annoncé lui carrément qu’il préférerait «être sourd plutôt que d’avoir entendu les imbécillités de l’UDC».

Bref, du grand spectacle comme rarement il s’en déguste sous la vénérable et poussiéreuse coupole. De la politique à l’ancienne, celle qui n’a pas peur de l’invective, de la franche attaque ad hominem, de la mauvaise foi la plus crasse exprimée avant d’autant plus de force. On ne réclamera bien sûr pas de nos sages et polis parlementaires qu’ils pratiquent le coup de boule, de poing ou de sang au moindre prétexte, comme dans n’importe quel vulgaire parlement russe ou ukrainien. Mais un peu de colère, un zeste d’indignation, deux doigts d’honneur et un verbe plus haut que la moyenne, ne sauraient nuire à la santé du débat démocratique.

D’autant que dans cette affaire d’immigration et de libre circulation, c’est finalement, dans chacun des deux camps, la prétention à défendre la volonté du peuple qui est à l’œuvre. Une volonté que l’UDC brandit en long, large et travers, et qu’elle oppose systématiquement au diktat élitaire de Bruxelles qui ne reposerait sur aucune légitimité démocratique.

C’est ainsi que le nouveau leader effectif de l’UDC et patron de la Weltwoche, Roger Köppel, peut écrire tranquillement: «La volonté du peuple se transforme en une sorte de magma modelable et interprétable à souhait. Il ne sert à rien de se rendre aux urnes tant que les politiciens qui sont payés pour mettre en œuvre les décisions populaires refusent de le faire.»

Sauf que ce qui fonde le refus des contingents et des plafonds par l’UE, ce sont les accords bilatéraux. Des accords, comme le rappellent à juste titre certains parlementaires, qui ont été approuvés plusieurs fois par le peuple.

Le nœud de l’affaire est là: tout le monde veut appliquer la volonté du peuple, mais le peuple, qui n’en fait jamais qu’à sa tête, en bon souverain, a souvent l’outrecuidance de vouloir un jour une chose et le lendemain son contraire. On comprend que cela finisse par agacer tout le monde. Équitablement.