L’espérance de vie augmente et avec elle, l’angoisse face à la grande maladie. L’assistance au suicide apparaît comme un moyen rassurant.
A quoi bon vivre vieux, si c’est pour vivre diminué? Cette question, qui ne se l’est pas déjà posée? Comme si l’expérience des autres et notre propre compréhension du réel nous faisaient bien comprendre que vivre et continuer à vivre sont deux choses différentes, deux états distincts. Le premier témoigne d’une insouciance plus ou moins totale face à la mort, le second nous confronte à elle de manière plus pressante. Continuer à vivre est une préoccupation qui généralement coïncide avec cette étape de la vie qu’on appelle la vieillesse.
Et c’est tout un programme que de repousser la mort — appelons un chat un chat: cela nécessite de l’entretien mental et physique, et certainement des soins à mesure qu’on avance en âge. Des soins qui peuvent être très lourds. Tel est le prix à payer. Alors, continuer à vivre, n’est-ce pas parfois payer un trop lourd tribut, au mépris de la dignité? Ces dernières décennies, la dignité a changé de camp, pourrait-on dire. Délestée du poids normatif de la religion, elle ne réside plus dans la vie à tout prix, mais dans la mort préférable à une existence jugée dégradante. Parfois, en effet, ne vaut-il pas mieux «en finir»?
Le docteur et éthicien américain Ezekiel Emanuel a répondu à cette question d’une manière catégorique, dans un article paru en octobre 2014 dans la revue tadalafil tablets ingredients. Ce professeur à l’Université de Philadelphie, ancien conseiller du président Barak Obama pour les affaires sanitaires, aura 75 ans en 2032: l’âge et l’année de sa mort. Ainsi en a-t-il décidé. Soyons précis: à compter de 75 ans, il ne prendra plus de traitement susceptible de le guérir d’une maladie ou de prolonger sa vie. Finis, les antibiotiques. «Mourir d’une infection n’est pas particulièrement douloureux», écrit-il dans un élan stoïque. Les dépistages de tumeurs moyennant coloscopies? Terminés. Seule entorse à son principe: des soins palliatifs en cas de cancer, mais pour autant, c’est vers une mort à la fois choisie et subie qu’il irait.
Tant pis si son entourage doit souffrir de sa disparition, alors que tout n’aura pas été tenté pour l’éviter. Dans sa balance des sentiments, plus important que la peine infligée est le souvenir qu’il laissera aux siens. Or il veut qu’on se souvienne de lui comme d’un «être vibrant». Toutefois, n’étant pas doctrinaire, il s’accorde le droit de repousser au-delà de 75 ans le déclenchement du fatal compte à rebours, si son état de santé ne justifie pas la mise en œuvre du protocole de fin de vie.
Le plaidoyer d’Ezekiel Emanuel, empreint de cette sincérité dont les Américains sont si friands, a pu choquer par son apparente radicalité. Du moins a-t-il fait réfléchir. C’était son but. Le professeur Henk Verloo, à la tête du Senior Living Lab de la Haute Ecole de la Santé La Source à Lausanne – HedS La Source, l’a lu avec intérêt, lui dont le travail consiste à améliorer la qualité de vie des «seniors». «L’article d’Ezekiel Emanuel a un côté volontairement provocateur, note-t-il, et c’est très bien. Mais j’ai l’impression que ce questionnement renvoie surtout à la perception très personnelle qu’a l’auteur de la fin de vie. Ce que je constate en Suisse, c’est que trois quarts des personnes ayant 75 ans vieillissent bien.»
On passe à autre chose, alors? Bien sûr que non. La vieillesse est devenue un objet d’angoisse. L’allongement de l’espérance de vie suscite autant d’espoirs qu’il génère de doutes sur les capacités de chacun à affronter la vie longue. La maladie d’Alzheimer fait peur. Selon l’Association Alzheimer Suisse, on estimait à 116’000 en 2014 le nombre de personnes vivant en Suisse atteintes de cette pathologie ou d’une autre forme de démence survenant principalement avec l’âge. Pour celles âgées de 80 à 84 ans, le taux était de 13%, alors qu’il est de moins de 2% entre 65 et 69 ans.
Mais il n’y a pas que la maladie d’Alzheimer qui entrave la vieillesse et abrège la vie, rappelle Henk Verloo. «Comme on le sait, le diabète, l’hypertension, les douleurs persistantes et la dépression font aussi des ravages», souligne-t-il. Doit-on s’affoler? «Le déclin, lié au vieillissement organique, survient plutôt à partir de 85 ans, explique le professeur. Mais il n’y a pas de raison de paniquer. Si, en 2050, 30% de la population aura 65 ans et plus, une grande proportion d’entre elle vieillira bien.»
Tant mieux, se félicite-t-on. Mais le «vieillir mal» nous obsède. «C’est plus la qualité de vie que l’âge qui déterminera à l’avenir le moment de mourir», entrevoit Henk Verloo. Le succès d’Exit ne dit pas autre chose. Cette association suisse d’aide au suicide comptait près de 80’000 inscrits en 2013, un chiffre en constante augmentation. Y adhérer, c’est plus une manière de se rassurer en se disant qu’on aura la main sur son déclin, et moins la certitude de faire appel un jour à ce service. Dans les faits, «seules» quelques centaines de personnes meurent chaque année en Suisse par l’entremise d’Exit. Mais ce chiffre pourrait croître à l’avenir, en parallèle avec l’offre de soins palliatifs, généralement présentés comme l’antithèse du suicide assisté — cette dernière solution étant, entre parenthèses, combattue par l’Américain Ezekiel Emanuel.
Mais nous sommes en Suisse. Et les mentalités helvétiques semblent s’être faites à l’idée qu’on puisse choisir de mourir avec le soutien d’un tiers, une liberté comprise comme «l’expression ultime de la dignité de la personne», analyse Henk Verloo. Dans une tribune intitulée «Responsable de sa vie, responsable devant sa mort?», publiée en février 2015 dans le «Bulletin des médecins suisses», le docteur en sciences économiques et sociales Christian Lalive d’Epinay, professeur honoraire à l’Université de Genève, cite un sondage paru en août 2014 dans le journal protestant «Evangelisch-Reformierte-Zeitung.» Les résultats de cette étude d’opinion semblent attester qu’un consensus existe en Suisse sur la question de la fin de vie. Deux tiers des personnes interrogées se disent favorables à Exit. Trois quarts d’entre elles sont convaincues que l’«être humain est responsable de soi et que cette responsabilité s’étend jusqu’à sa mort». Tout aussi notable est l’unanimité de vue d’un sexe à l’autre, d’une classe sociale à l’autre, qu’on soit catholique ou protestant, Alémanique ou Romand.
Regrettant que le suicide assisté soit interdit en France, le philosophe français André Comte-Sponville ne craint pas une dérive totalitaire du «droit à mourir dans la dignité» pour lequel il milite. «Je ne crois pas à cette science-fiction d’horreur, dit-il. Le risque que cela arrive dans un pays démocratique est nul. Je ne reconnais pas à l’Etat le droit de décider à ma place. Ma liberté de mourir ne nuit pas à autrui.» S’il ne saurait y avoir de bon âge pour mourir, il est des circonstances où la nature n’a pas le dernier mot.
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ENCADRE
Le cinéma explore la volonté de mourir
La thématique de la fin de vie fait également son chemin au cinéma. En 2012, le réalisateur français Stéphan Brizé l’abordait dans «Quelques heures de printemps». Puis en septembre 2015, c’est au tour de Lionel Baier, réalisateur suisse et chef du département cinéma de l’ECAL, de traiter l’aide au suicide dans son dernier film, «Vanité».
Le scénario présente un vieil homme atteint d’un cancer incurable, qui fait appel à une association d’aide au suicide pour mettre fin à ses jours. David Miller (Patrick Lapp) choisit pour cela une chambre d’un hôtel des années 1960 en décrépitude. Il est obstiné, il veut mourir. Mais ce qui paraissait facile de prime abord s’avère de plus en plus complexe. Espe (Carmen Maura), l’accompagnatrice de David Miller, semble dans un premier temps ne pas savoir comment s’y prendre. Et puis la loi suisse exige qu’un témoin soit présent lors de l’acte. David Miller tente désespérément de convaincre Tréplev (Ivan Gregoriev), le prostitué russe de la chambre d’à côté, d’accepter ce rôle. Si la volonté de David Miller est initialement inflexible, la rencontre avec Espe et Tréplev semble le faire changer d’avis. Les trois protagonistes vont découvrir, le temps d’une nuit, que l’affection — et peut-être même l’amour — est un sentiment coriace. De quoi faire vaciller la détermination d’un homme prêt à tout pour mourir.
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Collaboration: Julien Calligaro
Une version de cet article est paru dans le Bulletin du magazine Hémisphères (no 10).
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