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Les perdants magnifiques (de mauvaise foi)

Le scrutin du 28 février a sans doute marqué un tournant. Avec la victoire de la raison froide sur l’émotion, en attendant la fin de «l’initiativite» aiguë.

Vus d’une autre planète, les résultats des votations du 28 février pourraient laisser penser que cet infime bout de territoire nommé la Suisse serait peuplé de très étranges créatures. Des petits hommes même pas verts décidant en toute indépendance et sérénité de garder avec eux les criminels étrangers. De construire un deuxième et très onéreux tunnel dans la montagne rien que pour permettre de rénover celui qui existe déjà. De continuer à pénaliser fiscalement, comme depuis des décennies, les couples mariés. D’enfin plébisciter la spéculation sur les denrées alimentaires.

Mais bon, seulement vus d’une autre planète. Même des envahisseurs intergalactiques comprendraient très vite que ces choix apparemment étranges n’étaient dans le fond que bigrement rationnels. La preuve, tout le monde était content, même, et surtout, les perdants.

L’initiative de l’UDC balayée? Pas grave, assure Oskar Freysinger, puisqu’au moins «elle met une grosse pression sur la justice pour qu’elle agisse avec davantage de fermeté». Bref on a perdu mais dans le fond on a gagné quand même.

Freysinger d’ailleurs, s’est fait un peu une spécialité du dire sans le faire, qui est l’apanage des pipelettes, plutôt que du faire sans le dire, où se reconnaissent les vrais Machiavel. Ainsi, chef du département valaisan de l’éducation, plutôt que de réformer effectivement l’école, il préfère expliquer dans un délicat petit livre rose comment il conviendrait de la réformer. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, Oskar de Savièse n’est pas un homme du passé, c’est un fanatique du conditionnel.

Autre perdant magnifique — de mauvaise foi: Christophe Darbellay. Le patron du PDC a vu son initiative contre la pénalisation du mariage battu sur le fil. Il s’en réjouirait presque: «Grâce à notre initiative le problème a été reconnu.» Et tant pis si c’est grâce à l’obstination du PDC à vouloir mélanger les pommes et les poires, à inscrire dans le texte une définition restrictive du mariage, que l’échec a été consommé.

Et que nous dit le comité du «Non au deuxième tube du Gothard» après que le tube en question ait été plébiscité par un peuple de linottes motorisées? Que le peuple en question «reste attaché à l’objectif de limitations du transit alpin à 650 000 par an». Autant suggérer que les votants se sont prononcés pour un tunnel, oui, mais un tunnel où ne passerait aucun véhicule. Les gens ont de ces lubies.

Enfin, dans le camp de la Jeunesse socialiste qui a lancé l’initiative contre la spéculation sur les denrées alimentaires, balayée à près de 60%, c’était quasi l’euphorie. «Un tel score pour une initiative de gauche avec un contenu idéaliste, est un bon résultat». Un résultat qui montre, n’est-il pas, que «les Suisses sont préoccupés par cette question». Certes, mais pas au point de vouloir y répondre.

La satisfaction de chacun fait d’autant plaisir à voir qu’une conséquence heureuse semble déjà découler de ce scrutin mémorable: les lanceurs d’initiatives un peu obsessionnels — le PDC, mais surtout évidemment, l‘UDC, annoncent désormais vouloir mettre la pédale douce.

Blocher himself l’affirme: «On doit faire attention à ne pas lancer une initiative pour chaque chose qui ne nous convient pas.» Si c’est lui qui le dit. Darbellay de son côté, dans un violent accès de lucidité, croit savoir que «les gens sont fatigués de toutes ces initiatives». Ce qui s’appelle nous arracher les mots de la bouche.