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La justice malmenée: tant mieux

Affaire Giroud, cellules trop petites à Champ-Dollon, premier djihadiste jugé en Suisse: c’est à ce genre de choses qu’on reconnaît une vraie démocratie.

On a beaucoup parlé de criminels étrangers ces derniers temps. Sans rappeler que la vie du délinquant, étranger ou non, reste un véritable chemin de croix, dont chacun à sa façon essaye d’alléger la traversée. Trois affaires récentes ont montré que plusieurs angles d’attaque existaient si l’on n’entendait pas se laisser broyer tout cru par la machine.

Vous voici par exemple condamné à cinq ans pour viol, ainsi que différentes autres broutilles non portées à la connaissance du public. Vous purgez votre peine à Champ-Dollon, établissement considéré à ses débuts comme un authentique trois étoiles, mais qui n’a plus la réputation que d’être méchamment surpeuplé. Vous ne le savez pas encore, pourtant votre séjour dans ce «palace» genevois est illicite.

Un jour, la chambre administrative de la cour de justice vous donnera raison. Posera que votre cellule est décidément trop exiguë selon les exigences du Tribunal fédéral, à condition toutefois de ne pas compter la douche dans la surface totale. On pourra alors parler juridiquement d’atteinte à votre dignité. Tant pis pour les oreilles délicates que la notion de dignité d’un violeur pourrait écorcher: force reste à la loi. Un parfum d’indemnités flotte déjà dans votre cagibi en compensation de 270 jours de détention passée dans des conditions illicites. Tant pis aussi pour le Département genevois de la sécurité qui voit dans la douche un espace de détente n’ayant pas à être déduit de la surface nette de votre cellule.

Autre affaire, quelque peu tentaculaire et interminable. Vous êtes encaveur et valaisan — jusque-là rien de répréhensible, ce serait même plutôt en plein dans la norme. On vous reproche néanmoins quelques menus manquements. Un peu de fraude fiscale d’abord, 18 millions de revenus et neuf millions de bénéfices dissimulés aux autorités compétentes. On vous accuse aussi d’avoir commercialisé un Saint-Saphorin pas très catholique. L’affaire est classée, le seul crime restant, contre l’esprit, pour un vigneron valaisan qui se respecte, d’avoir commercialisé du vin vaudois. Enfin, vous vous êtes livré à un petit jeu de piratage informatique visant des journalistes trop curieux.

Vous laissez vos avocats crier à l’acharnement. C’est une bonne vieille tactique qu’emploient en général les justiciables connus non seulement des services de police mais surtout du grand public. Vous pouvez toujours vous dire que les meilleurs utilisent ce syndrome de Caliméro, un ancien président de la République française par exemple. Vous êtes célèbre, vous avez réussi, on veut vous abattre, on vous jalouse. La justice dès lors se réduit à un ramassis d’envieux et de mesquins, téléguidés par le pouvoir politique et les médias qui comptent.

Troisième cas de figure: vous êtes suisso-libanais, et vous avez été semble-t-il un peu démangé par le démon du djihadisme. Avant d’être arrêté à l’aéroport de Zurich en partance pour la Syrie. Moment de gloire: vous êtes le premier présumé voyageur du djihad à être renvoyé devant un tribunal suisse. Jusqu’ici, on se contentait d’empêcher ceux qui étaient partis de revenir.

Il y en a bien un qui a réussi à rentrer. Un Valaisan, encore un, revenu après trois mois passés en Syrie dans des circonstances douteuses. Enquête du ministère public il y a eu mais faute de preuves, l’homme a été condamné à 600 heures de travail d’intérêt général avec sursis, ainsi qu’à une psychothérapie. Plus l’obligation de mener un travail photographique sur le thème de la paix. Voilà qui vous ouvre de nombreuses et sympathiques perspectives et devrait vous redonner toute confiance dans la justice de votre pays.

A ceux qui trouveraient pourtant que cette justice-là marche sur la tête et que la délinquance aurait décidément la part trop belle, on dira que c’est ça ou un appareil juridique qui vous condamne avant de vous avoir écouté. Qui n’a pas besoin de preuves. Qui se moque de la taille des cellules et fait de l’acharnement son essence même. Les exemples ne manquent pas de par le vaste monde. Une justice qui puisse être attaquée, malmenée, poussée dans ses retranchements, ridiculisée même: voilà un signe majeur de saine démocratie. Ce qui n’empêchera personne de penser avec Montaigne que les lois «sont souvent faictes par des sots» et «toujours par des hommes, autheurs vains et irresolus».