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Les beaux jours de l’hydre

Le populisme ne sera sans doute pas vaincu avec des invectives ni même des grands principes. N’en déplaisent aux belles âmes.

La croix du drapeau suisse transformée en swastika. Voilà qui n’était pas vraiment subtil surtout avec les mentions Allemagne 1933 et Afrique du Sud 1948 dessous. Le tweet du président du PBD Martin Landolt relayant cette affiche contre l’initiative du 28 février sur l’expulsion des criminels étrangers a donc provoqué la démission anecdotique de Christine Bussat, l’égérie de la marche blanche.

Les raisons invoquées pour cette démission s’avèrent d’ailleurs plus intéressantes que l’acte lui-même. «Monsieur Landolt a une haine viscérale de l’UDC, c’est une guerre contre un parti et pas pour des idées», s’agace ainsi Christine Bussat, mettant le doigt sur un réflexe trop souvent constaté. Accuser l’UDC de nazisme ou même le qualifier simplement de parti d’extrême-droite, ce n’est pas la combattre véritablement. Ce n’est pas répondre aux arguments pourtant souvent simplistes des blochériens. C’est en vérité s’exciter contre des moulins à vent, donner de pitoyables coups d’épée dans l’eau sale. La question de savoir si l’initiative du 28 février sur le renvoi des criminels étrangers instaure une justice à deux vitesses est trop importante pour y répondre avec des comparaisons hasardeuses sur l’Allemagne hitlérienne ou l’Afrique du Sud de l’apartheid. Sauf à vouloir suggérer que les habitants des townships et les Juifs peuvent être assimilés à des criminels étrangers.

Martin Landolt ne fait pas preuve d’un immense courage en renvoyant la polémique vers le concepteur de l’affiche, Parvez Sheik Fareed, un publiciste anglo-suisse. Lequel soutient n’avoir pas voulu comparer la Suisse avec le régime de l’apartheid ni avec le troisième Reich. Mais plus simplement mettre en garde contre le risque de cette satanée initiative du 28 février: faire disparaître l’État de droit en Suisse, comme il avait disparu en Allemagne et en Afrique du Sud durant les années sombres. Même si le lien qui pourrait exister entre l’expulsion de criminels et l’éventuelle disparition de l’État de droit ne relève pas de l’évidence la plus foudroyante. On peut même parier que la vox populi et le café du commerce poseront l’équation inverse: que l’État de droit cesse de l’être quand il n’expulse plus ses criminels étrangers. Bref, avec de tels ennemis, l’UDC peut dormir tranquille et continuer à présenter des initiatives qui affaiblissent la cohésion nationale et détériore des relations internationales déjà proches de la catalepsie.

De la même façon, la mobilisation sans précédent et en soi justifiée de la société civile contre une initiative qui ne sert que les intérêts électoralistes de l’UDC, risque bien de manquer sa cible. L’ancienne conseillère fédérale Elisabeth Kopp, l’évêque Mgr Charles Morerod, l’architecte Pierre de Meuron et le clown Dimitri unis dans un même front de résistance, cela est beau. Mais pour défendre quoi? Une justice sereine bien sûr, égale pour tous. Sauf que l’image qui pourrait bien en ressortir sera plutôt celle d’une élite se précipitant au secours de criminels.

Avec ce danger aussi, souligné par le politologue Oscar Mazzoleni dans «24 heures»: que l’UDC en profite pour lustrer son profil de «victime — seule contre tous — en se positionnant comme le vrai défenseur des droits populaires». Avec cette capacité de résonnance qu’on lui connaît: «Il ne faut pas oublier l’importance du terrain. Or l’UDC est très forte, aussi bien sur la scène médiatique que dans la rue».

La rue, le terrain, voilà précisément ce qui a été abandonné à l’UDC. Ce n’est pourtant que là que l’hydre du populisme peut être efficacement combattue. Ignorer et mépriser les sentiments et les réflexes populaires conduit inévitablement à des déroutes dans les urnes. Il ne semble pourtant pas très compliqué d’expliquer que renvoyer les criminels étrangers est non seulement normal mais souhaitable. En prenant bien soin d’ajouter que la mise en œuvre concoctée par le Parlement après la première initiative l’aurait déjà permis. En respectant bien davantage l’équité et la justice que ne le ferait le plat grossièrement réchauffé de l’UDC.