KAPITAL

Pourquoi les jeunes Suisses n’aiment pas le risque

Devenir entrepreneur est une option de carrière qui fait rêver, mais que peu d’Helvètes suivent au sortir des études. Comment favoriser les vocations entrepreneuriales?

En Suisse, très peu de jeunes choisissent de créer leur entreprise. Ils sont seulement 6,2% à le faire entre 18 et 24 ans, contre 16,8% en Allemagne et plus de 24% en Slovaquie. C’est la conclusion du dernier rapport Global Entrepreneurship Monitor (GEM). «Cette situation est directement liée à l’état du marché du travail, souligne Rico Baldegger, directeur de la Haute école de gestion Fribourg – HEG-FR. En Suisse, les jeunes créent rarement leur entreprise par nécessité. Après une formation, il est possible de trouver assez facilement un travail bien rémunéré. Cela n’est pas forcément motivant pour lancer son projet.»

Les Suisses attendent en moyenne sept ans entre la fin de leur formation et la mise en route de leurs ambitions entre­preneuriales. Un délai qui n’a ­pas que des mauvais côtés. «Le fait qu’ils s’appuient sur des bases solides avant de se lancer montre qu’ils appréhendent la vie professionnelle avec rationalité», estime ainsi Simon May, membre de la direction de lcialis mg sizes (IFG), une structure de soutien aux créateurs d’entreprise. Un avis que partage David Narr, coach en création d’entreprise au sein de l’association Genilem, spécialisée dans l’accompagnement de start-up. «Se reposer sur une certaine expérience et un réseau solide représente un avantage en matière de création d’entreprise, remarque-t-il. Mais pour beaucoup de jeunes, l’entreprenariat n’est pas encore perçu comme une alternative crédible à une carrière dans une grande compagnie.»

Investir dans l’éducation à l’entreprenariat

Une affirmation corroborée par le rapport GEM: en Suisse, 42,3% des personnes interrogées voient le métier d’entrepreneur comme un bon choix de carrière, contre 55% en moyenne internationale et même 64,7% aux Etats-Unis. «La perception de l’entreprenariat, tout comme l’ambition et la confiance en soi, sont directement liées à l’éducation, note Rico Baldegger. Les résultats de l’étude GEM montrent qu’il est indispensable de commencer cet enseignement tôt. Il faudrait transmettre dès le cycle d’orientation que l’entreprenariat est une voie intéressante.» Le directeur de la HEG-FR cite l’exemple de la Norvège et de la Finlande, qui investissent depuis plusieurs années dans l’éducation à l’entreprenariat des jeunes et commencent à en récolter les fruits.

Une solution actuellement expérimentée au collège Champittet à Pully (VD). Depuis le mois de septembre, les jeunes de 12 à 18 ans sont invités à découvrir le monde de l’entrepreunariat à travers le programme «Graines d’Entrepreneurs». «Il n’est jamais trop tôt pour promouvoir l’esprit d’entreprise, souligne Simon May. On remarque d’ailleurs que les enfants qui ont grandi dans une famille d’entrepreneurs sont très tôt attentifs aux défis liés à la gestion de la société de leurs parents.» La situation est tout autre pour les jeunes qui sont les premiers de leur famille à se lancer. «Certains créateurs d’entreprise que j’accompagne me confient que leurs parents leur ont donné deux ans pour leur projet avant de trouver un ‹vrai› métier, relate David Narr. Beaucoup d’employés dans une grande entreprise ne s’imaginent pas devenir indépendants, ils pensent que c’est trop risqué.»

Une expérience pas assez valorisée en cas d’échec

Des préjugés qui seraient liés à une profonde méconnaissance du métier. «Etre entrepreneur, c’est précisément savoir diminuer l’exposition aux risques, rappelle David Narr. Les jeunes que j’accompagne ne jouent pas à la roulette, ils veulent que leur aventure entrepreneuriale réussisse. Et même si cela ne marche pas, ils auront beaucoup appris.» Une expérience qui n’est d’ailleurs pas assez appréciée par les recruteurs. «Peut-être qu’il y a là aussi un important travail d’éducation à faire. Je garantis que passer deux ans à être confronté à des clients est plus formateur que deux ans passés en tant qu’employé d’une multinationale.»

Si la Suisse peut mieux faire en matière d’éducation à l’entreprenariat, il ne faut cependant pas peindre le diable sur la muraille. «Le pays profite de bonnes conditions-cadres, et nous disposons aussi de structures de soutien aux start-up, résume Rico Baldegger. La plupart des experts interrogés dans le cadre du rapport GEM 2014 s’accordent cependant à dire que la Suisse dispose d’un potentiel inexploité, principalement en raison du manque de collaborations entre les régions du pays. «Bien des projets se limitent encore à tel ou tel canton, souligne Rico Baldegger. Nos partenaires internationaux ne peuvent que rigoler quand on leur explique que Genève et Zurich sont séparées de seulement 270 km.» Une meilleure collaboration dans le pays serait ainsi le préalable pour faire émerger une innovation disruptive capable de partir à la conquête du monde, à l’instar d’un Twitter, d’un Snapchat ou d’un Instagram.
_______
ENCADRE

L’entreprenariat en chiffres

556’302
Le nombre de petites et moyennes entreprises recensées actuellement en Suisse par l’Office fédéral de la statistique, ce qui représente 2’899’169 emplois au total.

50
c’est le nombre de personnes qui se lancent quotidiennement dans l’entreprenariat en Suisse, selon l’institut IFJ.

130’000
en francs, la somme maximale mise à disposition par le programme Venture Kick aux start-up issues des universités et hautes écoles de Suisse. Depuis son lancement en 2007, le programme a soutenu près de 351 projets de start-up. Plus d’informations sur www.venturekick.ch

3
en années, la durée du coaching offerte au gagnant du prix GENILEM-HES, auquel s’ajoute un financement de 20’000 CHF. Le concours est ouvert à tous les étudiants HES de Vaud et de Genève. Inscription et conditions de participation sur www.prixgenilemhes.ch
_______

Une version de cet article est parue dans la revue Hémisphères (no 10).

Pour vous abonner à Hémisphères au prix de CHF 45.- (dès 45 euros) pour 6 numéros, rendez-vous sur cialis one daily coupon.