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Des «Neinsager» aux béni-oui-oui

Il n’y a pas si longtemps, le comble du conservatisme était de refuser toutes les initiatives populaires. Aujourd’hui, c’est au contraire de toutes les accepter. La preuve par le 28 février.

Longtemps le comble de l’obscurantisme, de la réaction, pour ne pas dire du fascisme rampant, a été incarné par la figure du «Neinsager». Plutôt Waldstätten que Bahnhoftrasse, cette bête-là n’avait rien compris aux bienfaits de la démocratie directe, à la sagesse des partis et du Conseil fédéral, et refusait, votation après votation, systématiquement tout ce qui lui était proposé. Un véritable ennemi du progrès, pourfendeur de tout changement devant l’Eternel.

Aujourd’hui, c’est à peu près l’inverse. Autant prévenir les braves gens qui auraient la folle intention de déposer le 28 février prochain un triple oui dans l’urne: ils ne sont au mieux qu’un ramassis d’homophobes pollueurs et de xénophobes gaspilleurs. La honte du pays. Si pas la lie de l’humanité.

En plus d’être de parfaits crétins. Ainsi Didier Burkhalter est-il venu expliquer que voter pour l’initiative de l’UDC sur l’expulsion des criminels étrangers, ce n’était pas voter pour l’expulsion de criminels étrangers, mais pour la persécution de femmes de ménage innocentes — à part un petit boulot au noir par ci par là — et compromettre la participation de la Suisse au programme de recherches «Horizon 2020». Pas sûr que les obtus béni-oui-oui qui pensent naïvement répondre aux questions qu’on leur pose aient été tout à fait convaincus. Tant leur petitesse d’esprit est avérée.

Quant à ceux qui estiment, comme 76% des Tessinois, que la construction d’un deuxième tube pour éviter la fermeture du Gothard pendant trois ans, serait une bonne solution, ils sont très, très loin du compte. Le parti socialiste, sortant sa fameuse boule de cristal, pourra par exemple leur expliquer que voter oui à cet objet trahit à l’évidence un cas de folie multiple et d’irresponsabilité à tous les étages.

Oyez donc, triples buses: «Le deuxième tube est inutile, il n’a aucun sens en matière de politique des transports et son coût est totalement déraisonnable. Il conduira à plus de trafic, plus de bouchons et plus d’accidents, il torpille la politique de transfert de la route au rail décidée par le peuple et il cause de graves préjudices à l’environnement alpin. Un deuxième tube fait de la Suisse l’enfer européen du transit!» Le malheureux votant qui pensait juste éviter au Tessin d’être coupé du reste de la Suisse et de perdre plusieurs milliers d’emplois, ne soupçonnait sûrement pas qu’il se rendait coupable d’un si grand nombre de forfaitures.

De même, les braves épris de justice fiscale et d’égalité devant l’impôt et qui s’apprêtaient à soutenir l’initiative du PDC pour que les couples mariés désormais cessent de toucher moins d’AVS que les concubins tout en payant plus d’impôts, ne se doutaient pas d’avoir une âme vile et d’abjectes intentions.

Heureusement, les opposants se chargent de le leur apprendre. Telle, pour citer au hasard une organisation pas trop connotée sur le sujet, l’Union syndicale suisse. Selon laquelle dire oui à cette initiative, c’est avouer «une vision du mariage étriquée et conservatrice, discriminatoire pour les LGBT». C’est aussi être «en contradiction avec les principes d’égalité et de non-discrimination de la Constitution fédérale (articles 8 et 14)». C’est nier complètement «la diversité des modèles familiaux existant aujourd’hui». C’est enfin plébisciter «un amalgame trompeur» et «tout simplement rétrograde, quand on observe l’évolution en marche dans le monde». Bref une horreur dont chacun devrait avoir honte et dont est responsable cette phrase évidemment ahurissante contenue dans l’initiative, définissant le mariage comme «l’union durable et réglementée par la loi d’un homme et d’une femme». Un scandale absolu, on vous dit.

Ceux qui expliquent à longueur de discours aux pauvres béni-oui-oui qu’ils n’ont rien compris à rien, se sentent parfois, à force, obligés de rappeler leur attachement à cette démocratie directe qui permet de poser aux gens des questions aussi sottes. Didier Burkhalter le concède, grand seigneur: «Je fais confiance à notre démocratie et à la maturité politique des Suisses. Il y a des pays où tout se décide d’en haut. Je ne crois pas que cela soit mieux.» Sans quand même aller jusqu’à dire: franchement pire.