LATITUDES

Optimisme des chercheurs, déception des malades

Des chercheurs à l’optimisme croissant. Des médias qui relayent et amplifient le phénomène. De faux espoirs pour des malades qui déchantent.

«Un vaccin contre le virus Zika pourrait être disponible pour la fin de l’année», estime une équipe de chercheurs américains et canadiens qui travaille à son élaboration. L’annonce a fait les grands titres de l’actualité alors que les propos prudents du directeur de l’Institut américain des allergies et maladies infectieuses (NIAID) sont restés bien confidentiels: «Il n’y aura probablement pas de vaccin sûr et efficace contre le virus Zika avant plusieurs années». Les discours prometteurs l’emportent sur les plus nuancés.

L’optimisme des scientifiques vient d’être soumis à une quantification. « Prometteur », «innovant», «extraordinaire», «phénoménal», «encourageant», «spectaculaire»… Dans les accroches des articles médicaux, l’usage de termes connotés positivement a explosé ces dernières années. Ce bilan a été dressé par l’équipe de Christian Vinkers de la faculté de médecine d’Utrecht (Pays-Bas) dont l’étude vient d’être publiée dans le «British Medical Journal»

Le langage utilisé dans les résumés scientifiques peut-il, au fil du temps, évoluer en faveur de mots fortement positifs ou négatifs? Pour tenter de répondre à cette question, l’équipe néerlandaise a passé en revue la totalité des «abstracts» répertoriés dans PubMed (le principal moteur de recherche bibliographique de médecine et de biologie), sur une durée de 40 ans (1974-2014). La fréquence d’apparition de 25 mots «positifs», 25 «négatifs» et 25 «neutres» a fait l’objet d’une analyse.

Résultats: la fréquence des mots positifs a passé de 2% (1974-80) à 17,5% (2014), soit une augmentation de 880% sur quatre décennies. Pris isolément, les 25 mots y ont contribué. «Fiable» et «original» plus particulièrement. Quant à «sans précédent», il se signale avec un accroissement de 15 000%. «Une augmentation qui ne saurait être attribuée à une tendance générale du langage», affirment les auteurs qui se sont livrés à une étude comparative. A relever que les chercheurs affiliés à des institutions de pays non anglophones se singularisent en faisant significativement encore davantage appel au vocabulaire positif. De leur côté, les mots négatifs ont passé de 1,3% à 2,4%, les neutres sont restés stables.

L’explication de ce processus pourrait se trouver dans la course à la publication de résultats favorables à laquelle les chercheurs doivent se livrer pour être publiés. Le nombre de celles-ci ne fait-il pas leur réputation? Les voici donc tenus d’endosser un rôle de «marketeurs» pour «vendre» leurs travaux. Au risque de faire une entorse à l’éthique scientifique alliant rigueur, retenue et modestie.

En relayant l’actualité médicale la mieux à même de titiller la curiosité du public, les médias amplifient l’optimisme, souvent surfait, présent dans les travaux scientifiques: «Demain, un vaccin contre le cancer», «La maladie d’Alzheimer pourra être prévenue», «La maladie de Parkinson traitée par les cellules souches», «L’obésité vaincue», «Le diabète guéri par le génie génétique». Demain, toutes ces maladies devraient disparaître. Or, les horloges des différents acteurs tournent à des vitesses différentes: le temps du chercheur est lent, son unité, c’est la décennie. Or, l’unité de temps du malade est de l’ordre du mois ou de quelques années. Dans ce contexte, l’acception de «demain» génère bien des malentendus.

Après les fraudes à la publication scientifique, faut-il dorénavant se méfier du vocabulaire des «news» médicales? Les scientifiques portent une lourde responsabilité dans la diffusion de nouvelles faussement prometteuses à l’origine d’attentes et d’espoirs non concrétisés et d’autant de déceptions.

Dans leur conclusion, les auteurs de l’étude estiment que la plupart des résultats de recherche peuvent être faux ou exagérés et entraver la capacité de la science à découvrir des faits avérés. Ils conduisent à une focalisation inutile sur le marketing de la recherche. Pour eux, «le moment est venu pour la culture académique de récompenser la qualité plutôt que la quantité et de stimuler les chercheurs à cultiver nuance et objectivité. Malgré l’usage croissant des superlatifs en science, les résultats de notre étude ne doit pas occulter le fait que nous avons besoin de scientifiques «brillants», «uniques», «innovants», «créatifs» et «excellents»». Passer du quantitatif au qualitatif, la révolution n’est pas pour demain!