trust rx cialis

Le consensus, le mauvais coucheur et l’argent des dictateurs

La façon dont la loi sur la confiscation des avoirs de chefs d’Etat indélicats a été vidée de sa substance, et néanmoins refusée par l’UDC, est un cas d’école. Qui dit beaucoup sur le fonctionnement de la démocratie à la suisse.

Consensus, c’est le mot magique, comme chacun le sait. Le nerf de la vie politique suisse. Le secret absolu de ses insolents et incontestables succès. Même si cet art poussé à l’extrême de former des majorités très larges repose généralement sur une façon discrète de ramener les réformes à la portion la plus congrue possible. La réformette, c’est bien connu, est plus facile à avaler que le changement courageux de cap, de même que la couleuvre s’ingère plus facilement que le serpent-python.

Cette manière de ne fâcher personne, quitte à n’avancer qu’à la vitesse d’une tortue unijambiste, présente en outre un amusant effet secondaire. L’apparition, pour la forme et la galerie, d’un personnage bien particulier dans l’arène politique: le mauvais coucheur par principe. L’empêcheur de «consensusser» en rond.

Parce qu’il en faut toujours bien un, même et surtout quand tout le monde est d’accord. De la même façon qu’un dictateur connaissant bien son métier se contentera d’une élection à 99%, la miette restante sauvant à elle seule des apparences sur lesquelles, cela tombe bien, il est plus confortable ne pas se montrer trop regardant.

Le mauvais coucheur est souvent UDC, la tête dedans, les pieds dehors — on participe au gouvernement, tout en l’accusant des pires dérives, y compris de traîtrise à la patrie et de complicité avec les juges étrangers. Souvent UDC mais pas toujours. La gauche n’est pas en retard non plus dans ce rôle, quand il s’agit de sujets sur lesquels — au hasard: la défense et l’énergie — elle préférerait se faire hacher menue plutôt que transiger, plutôt que réfléchir deux minutes plus loin que son catéchisme.

Pourtant, dans le rôle de l’inévitable schtroumpf grognon que génère le soporifique règne du consensus, l’UDC reste indépassable. Qui, par exemple, puisque l’on parle de dictateurs, ne serait prêt à restituer aux populations spoliées l’argent mis au chaud en Suisse par un satrape ou l’autre?

Surtout que la liste est longue: Marcos, Mobutu, Duvalier, Abacha, Ben Ali, Moubarak… Oui, qui refuserait de rendre l’oseille? Ne serait-ce que pour soigner la réputation au plus bas d’une place financière naviguant dans l’imaginaire mondial quelque part entre la FIFA et la mafia?

Même le Conseil fédéral y songe, c’est dire, avec une loi devant régler «le blocage, la confiscation et la restitution de valeurs patrimoniales d’origine illicite». Loi aussitôt validée par le Conseil national, dans un consensus très large, tous les partis étant pour. Sauf l’habituel vivier des mauvais coucheurs, une UDC jugeant plus sage de garder le pognon, quelles qu’en soient la couleur et l’odeur.

Car le mauvais coucheur sait se transformer, quand il le faut, en patient jésuite. «Mohamed Morsi a remplacé Hosni Moubarak, puis il a été destitué et remplacé par Al-Sissi. Qui est le pire?», s’interroge ainsi avec une fausse ingénuité l’agrarien argovien Luzi Stamm. Autrement dit: conservons ces billes sanguinolentes jusqu’à ce que démocratie s’en suive. Jusqu’à ce qu’en somme chacun ait l’élémentaire sagesse d’adopter un système aussi juste et transparent que le nôtre.

Là aussi, pourtant, on avait respecté le rite habituel du consensus. En vidant d’abord la loi d’une bonne partie de son efficacité, par l’introduction d’une clause de prescription qui compliquerait sérieusement le processus de restitution, au grand dam de Didier Burkhalter.

Rien n’y a fait. L’argent contre la démocratie, le mauvais coucheur n’a peur de rien, surtout pas de l’arrogance, ni non plus, lorsque des milliards sont en jeu, des leçons à deux balles faites au monde entier.