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Fort comme le franc

A gauche on veut protéger, à droite déréguler. Face à la crise ouverte par la BNS et sa décision d’abaisser le taux plancher, les partis politiques n’ont que leurs vieux catéchismes à proposer. Plutôt léger.

Le pétrole qui s’effondre, Charlie qui se meurt puis ressuscite triomphalement, le franc qui s’envole: en 2015, à chaque semaine suffit sa peine. La pente naturelle est de se laisser dépasser par les événements, tel ce kiosquier lausannois affichant à sa devanture l’information suivante: «Charlie est épuisé et moi aussi». De la même façon le gouvernement et les partis politiques qui n’ont mais alors rien vu venir, ont d’abord adopté, devant l’abandon du taux plancher par la BNS, le profil bas de la sidération.

Ça n’a pas duré. En politique, il faut dire, retomber sur ses pattes n’a rien de compliqué. Il suffit de ressortir le catéchisme habituel -son catéchisme à soi – de le présenter comme seul, indémodable et éternel rempart face à la crise nouvelle qui surgit. Et d’ânonner consciencieusement. A gauche on réclame un filet de protection face aux futurs licenciements que le franc fort ne va pas manquer de provoquer. A droite on martèle que c’est le moment de déréguler pour permettre aux entreprises de tenir le choc.

A gauche on propose de renforcer la loi sur le chômage et celle sur les cartels, histoire de minimiser les effets des suppressions d’emploi ou des baisses de salaires et de permettre, en interdisant les petits arrangements entre fabricants et distributeurs, que le consommateur profite à plein d’une baisse attendue des prix.

A droite on veut alléger le carcan administratif qui pèse sur les entreprises et améliorer les conditions cadres offertes à ces mêmes entreprises. On rappelle qu’un rapport accepté en 2013 par le Conseil fédéral listait 120 mesures d’allègements capables de gérer un milliard d’économies et qui n’ont toujours pas été mises en œuvre. On assure que c’est le moment sinon idéal du moins nécessaire, pour «accélérer les réformes». Notamment des assurances sociales, dont les coûts ne cessent de croître, ou encore de la fiscalité, toujours, des entreprises.

Et cela tombe bien: la troisième réforme de l’impôt sur les entreprises est en cours d’examen, une réforme qui devrait coûter 3 milliards aux cantons. Là aussi chacun y va avec sa sensibilité personnelle. Le radical Pascal Broulis estime qu’il faut aller vite. Le Conseil fédéral propose que la Confédération prenne en charge pour moitié ces efforts, via une redistribution de l’impôt fédéral direct en faveur des cantons.

La patronne des finances fédérales, en revanche, Eveline Widmer-Schlumpf, tenant sans doute à ne pas vider trop vite sa cassette, ou déjà en campagne électorale et se disant que quelques risettes à gauche pourraient ne pas nuire, propose plutôt la mise en place d’un impôt sur les gains en capital. Dont la droite évidemment ne veut pas entendre parler. «Il y a déjà l’impôt sur la fortune» grommelle Broulis, tandis que Blaise Matthey, directeur de la Fédération des entreprises romandes juge cette nouvelle taxe «lourde administrativement» et vouée à «rapporter peu», ce qui est un peu le mantra de la droite et de l’économie face à tout impôt.

Un quotidien de référence et libéral affiché, comme Le Temps, se réjouit certes que «la brutale hausse du franc» ait déjà eu «un mérite»: faire «sortir le monde politique suisse de sa torpeur». Pas sûr pourtant que les vieilles marmites qu’on entend pour l’heure tintinnabuler allègrement, fassent dans cette affaire la meilleure soupe, apte à permettre la digestion de 20% de compétitivité partie en fumée.

Le franc s’est peut-être envolé mais le naturel, lui, est vite revenu au galop.