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Sécuritaire, vous avez dit sécuritaire?

Après les attentats de Paris, la Suisse s’interroge à son tour sur sa propre sécurité. Au point que certains crient déjà au retour de l’Etat fouineur.

Connu des renseignements français et américains mais, pour la Suisse, inconnu au bataillon. On veut parler de Chérif Kouachi, l’un des auteurs de l’attentat contre Charlie Hebdo.

Le moment d’une réflexion peut sembler venir à pic. A l’heure où une vidéo de djihadistes menace, entre autres, la Suisse d’attentats prochains. A l’heure aussi où le Conseil national s’apprête à examiner une révision possible de la loi sur le renseignement qui octroierait aux barbouzes à croix blanche des moyens enfin à la hauteur en matière d’espionnage informatique et d’écoutes.

Sauf que les craintes du retour d’un Etat fouineur, voir outrageusement sécuritaire, restent tenaces, dans une Suisse comme enfermée dans son paradis tranquille, hors d’un monde en feu.

Notamment de la part d’une gauche encore hantée par la vieille affaire des fiches, et ayant annoncé, certes avant les massacres de Paris, sa ferme intention de voter contre la révision. Une gauche ayant oublié depuis longtemps qu’historiquement la sécurité est une valeur de gauche.

Une gauche qui, à l’exemple du conseiller national Jean-Christophe Schwaab, s’épouvante dans le cadre de l’accord TISA sur le commerce, en négociation entre une cinquantaine de pays, qu’une exigence des Etats-Unis conduise à ce que «nos données personnelles pourront être transférées aux sociétés américaines». Gravissime si l’on sait que «celles-ci les cèdent aux services de renseignement de Washington».

On pourrait rétorquer que dans la configuration des menaces actuelles, trembler devant l’épouvantail américain, c’est peut-être quand même un peu se tromper d’ennemi. Ou que, comme le rappelait «Le Temps», nous avons abdiqué depuis belle lurette toute confidentialité, via les mouchards implacables dont nous nous équipons avec enthousiasme et que sont nos téléphones portables ou nos cartes de crédit. Qu’il est donc un peu tard pour s’offusquer d’un retour éventuel de l’Etat fouineur.

Rien n’y fait: la perspective de renforcer nos moyens de surveillance continue d’effaroucher et même de révulser un bon nombre de nos concitoyens. Un éditorial de «24 heures» suggérant que les réticences face à une surveillance accrue de l’Etat pouvaient sembler dans le contexte actuel «d’une naïveté presque coupable» a ainsi suscité une sérieuse vague d’indignations sur les réseaux sociaux, avec des cris d’orfraie du genre: «Abject!»

On peut certes comprendre que les propositions chocs comme celles de l’avocat Charles Poncet pour lutter contre le djihadisme intérieur puissent en estomaquer plus d’un. Rétablissement de la peine de mort qui ne «dissuade pas les criminels mais rassure une opinion publique qui doute aujourd’hui de la fermeté de ses dirigeants». Punir ensuite comme il se doit «la simple participation à ces mouvances criminelles». Déchoir de la nationalité et expulser du territoire à vie «quiconque prend du service chez les assassins». Punir «le recrutement et la propagande», liquider les «associations impliquées», renforcer le ministère public fédéral etc., etc.

Evidemment plus mesuré, Pierre Maudet met tout de même en garde avec ce constat glaçant: «en matière de renseignements la Suisse est aveugle, sourd et muette».

Alors? Alors c’est sans doute un délicat exercice d’équilibrisme qui devra être pratiqué. Tendre, selon la subtile distinction appelée de ses vœux dans «L’Hebdo» par un spécialiste en stratégie, vers un Etat sûr, sans sombrer dans un Etat sécuritaire. Bien malin qui établira la juste frontière entre les deux.