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«Nudification» et les autres mots de mai 2024

Le langage révèle l’époque. Notre chroniqueuse s’interroge ce mois-ci sur l’usage des termes «nudification», «proxy» et «numiversel».

Nudification

Un phénomène massif exploitant l’intelligence artificielle (IA) pour créer des photos truquées se répand: la nudification. On ne compte plus les services permettant de transformer des clichés de personnes vêtues, en photos de nu. La nudification aurait connu une croissance de 2’000% des liens sur les réseaux sociaux en 2023. Une vague accompagnée de graves dégâts d’image non sanctionnés par une justice qui peine à suivre l’évolution technologique. Taylor Swift en a fait l’expérience en janvier avec la publication de fausses photos et vidéos pornographiques. Son déshabillage sans consentement a fait scandale.

Une autre chanteuse a créé un scandale en enjoignant, dans une chanson, son partenaire à la déshabiller avant, dans une réplique finale, de toiser l’homme avec sa voix et de lui balancer «Et vous…déshabillez-vous!». Nous sommes alors en 1967 avec Juliette Gréco qui interprète «Déshabillez-moi!», devenu un hymne féministe repris par Mylène Farmer et bien d’autres.

Si des sanctions pénaliseront peut être prochainement la nudification sur les réseaux, subsistera encore la problématique du déshabillage du regard.

Proxy

Les usagers non familiers du langage informatique ignorent souvent que c’est un proxy, ou serveur proxy, qui leur permet d’accéder à ce site, soit un dispositif qui joue le rôle de passerelle avec Internet.

Depuis l’actuelle guerre au Proche-Orient, une autre acception de proxy est fréquemment utilisée par les commentateurs. Ils évoquent une «guerre proxy» ou «guerre par procuration» et les «proxys» respectifs de l’un ou l’autre camp. Ces termes évoquent ici des alliés qui mènent le conflit par procuration, évitant aux acteurs principaux de s’exposer. Il peut s’agir d’organisations terroristes, de groupes rebelles, d’Etats ou d’autres entités. Le Hezbollah, les Houthis ou les Américains comptent parmi ceux-ci.

Ce concept déjà bien présent durant la Guerre froide, puis mis en sourdine, resurgit aujourd’hui à différents niveaux. «En France, certains partis (RN et LFI) se comportent comme des “proxys”, avec un champ lexical et rhétorique qui semble plutôt servir les intérêts de Moscou», dénonce Sébastien Lecornu, le ministre des Armées. Sur les prochains Jeux Olympiques, c’est une «menace par proxy» qui plane et attire l’attention des services de sécurité. En Suisse, ne compte-t-on pas sur des «proxy advisers» pour influencer les votes des actionnaires de certaines entreprises? Faut-il y voir la confirmation qu’il est bien commode de faire appel à un proxy pour l’accomplissement d’actes exposés et répréhensibles et que personne ne s’en prive?

Numiversel

Les écrits d’Alain Damasio sont des mines d’or en matière de néologismes. «Numiversel» se déniche dans sa dernière parution, «Vallée du silicium». De son voyage dans la Silicon Valley, l’auteur de science-fiction a rapporté, non des pistes à exploiter pour la rédaction d’un prochain récit dystopique, utopique ou uchronique, mais un état des lieux des transformations associées à l’avènement de l’homo numericus.

En visite dans «la Mecque du Mac», il est vertigineux pour l’auteur de se dire qu’entre une Kirghize et une Mélanésienne, à l’autre bout du globe, «la première chose qui les relie, et qu’elles partagent basiquement, ce sont des outils numériques de type smartphones et des applis qui recalibrent de façon identique leur rapport au monde. Là est désormais le Commun. Ce qu’on pourrait appeler le numiversel.» Un vertige partagé à la lecture de «Vallée du silicium».