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Gueules d’assistés

Lausanne conteste les chiffres de l’OFS sur le nombre de personnes recourant à l’aide sociale. L’occasion de s’interroger sur l’absurde opposition entre citoyens qui coûtent et citoyens qui rapportent?

Tourisme social. L’expression fleure bon son oxymore. Figure de style, rappelons-le, l’oxymore, qui vise, comme le stipulent les meilleures encyclopédies, «à rapprocher deux termes que leurs sens devraient éloigner, dans une formule en apparence contradictoire». Permettant ainsi «d’exprimer ce qui est inconcevable», de «créer une nouvelle réalité poétique» et au final de «rendre compte de l’absurde».

Pour la réalité poétique, on ne sait pas. Pour ce qui est de l’inconcevable et de l’absurde en revanche, nous voilà pile dedans. L’efficacité — et la violence — d’une expression comme «tourisme social» vient ainsi du fait que, normalement, les pauvres, du moins ceux qui savent tenir leur rang, ne partent pas en vacances. Il ne manquerait d’ailleurs plus que ça.

La très stigmatisante expression n’a pas manqué de ressurgir à l’occasion de la controverse lancée par la ville de Lausanne sur les chiffres de l’Office fédéral de la statistique (OFS) concernant le pourcentage de personnes assistées. L’OFS additionne les personnes ayant recouru au moins une fois à l’aide sociale durant une année, alors que Lausanne compte ses pauvres mois par mois. Dans un cas la ville de Lausanne est «créditée» d’un taux de 10% de personnes assistées alors que dans l’autre on en arrive à un taux mensuel moyen de 6,9%. Alors que la moyenne nationale est à 3,1%.

Peu importe cette querelle de comptables du pire: le plus gênant se situerait plutôt dans les fantasmes que ce genre de chiffres ne manquent jamais de déclencher. Des fantasmes qui en viennent vite à séparer drastiquement les citoyens d’une même ville, d’une même région, d’un même pays en deux catégories farouchement antinomiques: ceux qui rapportent et ceux qui coûtent. Comme on trierait le bon grain de l’ivraie, et les vaches à lait des carnes asséchées tout juste bonnes pour l’équarrissage.

Difficile d’imaginer étiquetage plus infamant. Appliqué au pays entier, il permet à tous les populismes d’alimenter les lieux communs chers au café du commerce et aux bonnes consciences laborieuses: les citadins sont plus assistés que les campagnards, et les Alémaniques beaucoup moins que les Romands.

Cette notion d’assistés prend encore un relief plus gênant dans un pays qui ne cesse année après année d’être célébré comme le plus compétitif du monde, et où le taux de chômage est si faible qu’il est catalogué selon les normes internationales comme reflétant une situation de quasi plein emploi. Les assistés sont donc d’autant plus impardonnables. Le citoyen ultra majoritaire, celui qui rapporte à la collectivité au lieu de coûter, n’en sera que davantage conforté dans une entêtante certitude d’honnête homme. Que ces gens ne sont que des profiteurs. Des touristes du social. Qui prennent sans doute un plaisir fou et malin à dépendre des aides publiques. On les entendrait presque, n’est-ce pas, ricaner du fond de leur hamac de plage, tout en sirotant un cocktail ou l’autre.

Le Temps, qui n’a pas attendu d’être doté d’une newsroom dernier cri et de déménager d’une ville d’assistés dans une autre pour être un drôle de bon journal, ramène le problème à sa juste formulation, dans un dossier consacré au sujet: «Ces comparaisons risquent d’évacuer la question de fond: au sein d’une Suisse prospère, sans parler du boom économique lémanique, pourquoi de plus en plus de personne recourent-elles à l’assistance, en particulier dans les villes? Et que faut-il entreprendre pour inverser cette tendance?»

Bonne question. Merci de l’avoir posée, et bonne route.