CULTURE

Génération 1989

Le projet «89plus» du célèbre curateur suisse Hans Ulrich Obrist rassemble des jeunes talents artistiques, scientifiques ou encore littéraire nés après 1989. Il vise à mieux comprendre cette génération.

Tout comme 1789, 1848 ou 1949: c’est une année charnière dans l’histoire de l’humanité. 1989 a vu la chute
du mur de Berlin, la fin de la guerre froide et le lancement du premier satellite GPS. C’est également la dernière année d’un monde sans World Wide Web.

Quel impact auront eu ces événements sur les artistes et innovateurs nés juste après? C’est la question à laquelle veulent répondre le Zurichois Hans Ulrich Obrist et le Français Simon Castets, à travers leur projet «89plus» lancé en 2012. Le premier dirige la Serpentine Gallery de Londres et est considéré, à 45 ans, comme une superstar des curateurs. Le second est à la tête du centre culturel Swiss Institute à New York, à 29 ans seulement.

89plus consiste en une série de workshops (conférences, expositions, résidences et publications) qui rassemblent des jeunes talents artistiques, scientifiques ou encore littéraires afin d’étudier leur manière de travailler et de créer des synergies. L’initiative est présentée par ses créateurs comme un «projet de recherche» à long terme, qui contient un volet d’archivage, précise Simon Castets par téléphone depuis New York.

Il ajoute que si les participants doivent en principe être âgés aujourd’hui de 25 ans ou moins, l’approche n’est pas dogmatique: «Nous restons ouverts aux autres générations.» Le projet est soutenu financièrement par la Fondation Luma à Zurich et le réseau de conférences DLD, ainsi que par les partenaires des événements organisés.
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ENTRETIEN

«Nous sommes stupéfiés par la richesse de ces talents»

Hans Ulrich Obrist a cofondé le projet 89plus. Le curateur star dresse un premier bilan.

Pourquoi s’intéresser à la génération post-guerre froide?

J’ai rencontré Simon Castets à Yokohama il y a quatre ans. Nous nous sommes par la suite dit qu’il serait intéressant d’examiner le travail de cette nouvelle génération que nous ne connaissions pas très bien. Et pour qui, comme le dit l’écrivain Douglas Coupland, internet occupe cet espace dans la tête qui était autrefois peut-être dévolu à la religion ou à la politique.

En quoi 89plus est-il un projet de recherche?

Il s’agit d’une combinaison de recherche qualitative et quantitative. Notre base de données en ligne qui recueille les candidatures des jeunes participants (plus de 3’000 à fin 2013, ndlr) ne sert pas à les mettre en relation entre eux. Elle constitue plutôt un outil curatorial à partir duquel nous pouvons découvrir des innovateurs émergents et les faire participer à nos événements.

Que ferez-vous des résultats?

Le projet est très inhabituel d’un point de vue curatorial, car il n’a pas de deadline ni d’aboutissement unique. L’objectif n’est pas d’envoyer des œuvres aux quatre coins du monde, comme pour une exposition itinérante conventionnelle.

Les intervenants proviennent de domaines d’activités extrêmement différents qui vont de la littérature aux
mathématiques. Etes-vous certain de voir émerger des synergies?

Le mathématicien Henri Poincaré a influencé bon nombre des travaux du peintre Marcel Duchamp au tournant du XIXe siècle. Le mathématicien reclus de la génération 1989 pourrait donc inspirer le nouveau Duchamp. Comme le disait l’artiste britannique Richard Hamilton, on se souvient uniquement des expositions qui inventent de nouvelles règles du jeu.

Avez-vous noté une particularité dans leur manière de travailler?

Il est trop tôt pour émettre des affirmations générales sur l’approche de cette génération. 89plus est conçu comme un projet à long terme qui s’échelonnera sur vingt, trente ans, et n’en est encore qu’à ses débuts. Mais nous commençons à voir émerger des tendances qui seront intéressantes à suivre dans les années à venir. Ces innovateurs sont incroyablement compétents. Beaucoup d’entre eux ont déjà accompli de grandes choses en dépit de leur jeune âge, peut-être en raison de l’effet si profond d’internet sur l’accès à l’information, les méthodes de communication et la capacité à auto-publier. Nous sommes continuellement stupéfiés par la richesse des talents qui émergent de cette génération.
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PORTRAITS DE PARTICIPANTS A 89PLUS

L’écrivaine qui rit

Chibundu Onuzo, 1991, écrivaine, Nigeria

Chibundu Onuzo rit beaucoup, et elle a de quoi: à 19 ans, elle est devenue la plus jeune femme à signer chez le géant britannique de l’édition Faber & Faber, pour son premier livre «The Spider King’s Daughter». Et les lecteurs du «Guardian» l’ont classée en 2013 parmi les 25 femmes les plus influentes d’Afrique. «J’ai d’abord cru que c’était une blague!» dit-elle avant de s’esclaffer. La Nigériane, qui suit un Master en politique publique à Londres, travaille sur un deuxième roman, mais ne veut en dévoiler le thème.
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La neuroscientifique qui recadre le débat

Kathryn Mills, 1987, Neuroscientifique, États-Unis

Originaire du Kentucky, Kathryn Mills est doctorante à l’Institute of Cognitive Neuroscience au University College London. Ses recherches portent sur les changements du cerveau des adolescents liés aux comportements sociaux. A seulement 26 ans, elle a déjà signé près d’une dizaine de publications scientifiques. Considère-t-elle sa génération comme spéciale? «Non», répond la souriante neuroscientifique. Une spontanéité qui contraste avec la rigueur du travail.
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Le génie en dérive

Ho Rui An, 1990, Artiste, Singapour

Hans Ulrich Obrist le considère comme un «génie». «Si j’en étais effectivement un, je perdrais probablement tout élan pour la réflexion», répond Ho Rui An de manière énigmatique. L’artiste pluridisciplinaire, photographe, écrivain, scénariste, a exposé ses œuvres dans le monde entier. «L’image occupe une position clé dans mon travail.» Il termine actuellement un Bachelor en beaux-arts et histoire de l’art à l’Université Goldsmiths de Londres.
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Une version de cet article est parue dans le magazine Reflex (no 23).