Chaque jour qui passe accroche de nouvelles casseroles aux basques du conseiller fédéral bernois. Toutes n’étaient pas imprévisibles. Autopsie d’une ambulance.
Des mauvais plaisants pourront toujours faire valoir que non, les parlementaires ne s’étaient pas trompés en élisant Johann Schneider- Ammann au poste de conseiller fédéral. Que le bug est intervenu juste après, entre sages, au moment de l’attribution des départements. Que ce n’est peut-être pas à l’économie que le Bernois aurait dû être placé pour exercer ses véritables, ses immenses talents. Bien plutôt aux finances. Quand on manie avec un tel art, une telle opiniâtreté, une telle suite dans les idées, la défense de son propre argent, on serait sûrement capable d’en faire autant avec celui des autres, et plus précisément de la Confédération.
Ah, Schneider-Ammann grand argentier! Voilà qui aurait eu de l’allure. Lui qui, apprend-on, ne disposait «pas que d’une structure offshore sur l’île de Jersey mais aussi au Luxembourg, où son groupe avait placé près d’un quart de milliard de francs». Plus exactement donc 226’598’529 bons et jolis francs. 230 millions quoi. Sacré Schneider, super Amman.
Douterait-on des capacités hors normes qu’aurait pu démontrer ce prince de l’optimisation fiscale au département des finances, de la constance qu’il aurait déployée à défendre bec, ongles et dents la galette fédérale, qu’une nouvelle preuve nous est aussitôt assénée. Sous la forme d’une plainte déposée par les pugnaces cantons de Vaud, Fribourg, Neuchâtel, Bâle-Ville et Bâle-Campagne, contre la Confédération. Au motif qu’un montant total de 200 millions de francs — chiffre décidément fétiche pour l’ami Johann — auxquels ils auraient eu droit, ne leur aurait jamais été versé. Par qui? On vous le donne en mille, ou plutôt en deux cent mille: le Département de l’économie, de la formation et de la recherche dirigé comme on sait par un certain Johann Schneider-Ammann.
On ne peut d’ailleurs qu’admirer l’élégance et la finesse du tour de passe-passe effectué par les services de JSA, comme le Bernois aurait été surnommé s’il avait été, ce qu’à Dieu ne plaise, Français. Le montant en cause concerne en effet la contribution habituelle de la Confédération aux coûts de fonctionnement des universités. Or, comme l’explique avec son habituelle sobriété l’ATS, Berne jusqu’en 2011, «versait les subventions de base a posteriori, c’est-à-dire durant l’année suivant celle du subventionnement».
Mais voilà que depuis 2013, «les subventions sont versées explicitement pour la même année». Conséquence imparable et rigolote: l’année 2012 «sera dès lors ignorée, comme l’avaient constaté les cinq cantons dans un communiqué en novembre dernier». Pfuit, une année disparue, gommée, désintégrée d’un coup de baguette magique, comme un vulgaire lapin. Si ce n’est pas là l’œuvre d’un formidable magicien… Chapeau, donc, l’artiste.
De son vrai nom Johann Niklaus Schneider, l’homme y a pour la première rajouté Ammann, le nom de son épouse, lors d’une assemblée générale des actionnaires de la Société de Banque Suisse. L’habileté déjà pointait sous la grisaille. Ammann, il faut dire, est aussi le nom du groupe familial que lui, le gendre, dirigeait jusqu’à son élection sous la coupole.
A l’époque, une publication pas spécialement à droite, Domaine Public, s’était émue de ce que les parlementaires de gauche aient contribué à l’élection de JSA, le préférant ouvertement à la compétente et indépendante Karin Keller-Sutter, au prétexte des positions trop affirmées de cette dernière sur l’asile. «Dans un passé récent, écrivait alors Alex Dépraz dans Domaine Public, la gauche s’était montrée à juste titre bien moins timide vis-à-vis d’un autre élu. Les liens entre Christoph Blocher et l’entreprise EMS-Chemie, dont celui-ci était l’actionnaire majoritaire et qu’il avait longtemps dirigée, avaient suscité une virulente polémique au moment de l’élection du Zurichois au Conseil fédéral.»
Et là rien. Les camarades ont fait comme si, entre Schneider et Ammann, il n’y avait même pas l’ombre d’un tiret. Aujourd’hui, il est bien tard pour pousser des trémolos d’indignation. Sans compter que depuis, JSA a démontré tant de franches et fraîches qualités. Dont la moindre n’est pas la modestie. Quand on lui met sous le nez ses savantes acrobaties fiscales, ne se contente-t-il d’un sobre et presque émouvant: «J’ai toujours agi correctement.»
Sans l’ombre d’un doute.