De nombreux personnages historiques ont choisi des habitats alternatifs, comme des grottes ou cabanes. Un mode de vie que certains veulent réhabiliter, du moins le temps d’un weekend.
Diogène, le philosophe grec, vivait dans un tonneau; les ermites chrétiens dans des grottes; Thoreau, le théoricien de la désobéissance civile, dans une cabane; Jean Deichel, le héros insurrectionnel du livre «Les renards pâles», dans une Renault 18 break. Des hommes de toute obédience n’ont cessé de s’affranchir des contingences matérielles. Toujours assimilés à de mauvais citoyens, ils sont habités par ce que Baudelaire appelait «l’horreur du domicile».
Aujourd’hui, la sédentarité marque de son empreinte la société occidentale. Elle permet un recensement précis des citoyens pour lever les impôts et recruter les soldats. Délaisser une maison ou un appartement pour vivre dans une caravane, un tipi, ou une cabane, c’est se mettre en situation irrégulière. Ces formes d’habitats alternatifs constituent une fuite de «l’assignation à résidence», un défi à l’uniformisation. Confortablement installés dans leurs chez-soi, les citoyens conformes aiment à se régaler de robinsonnades.
L’expérience vécue par Sylvain Tesson dans une isba isolée dans les forêts de Sibérie s’est ainsi arrachée en librairie («Dans les forêts de Sibérie»). Le romancier a su donner vie à l’image fantasmée de la cabane que chacun porte en soi. Pouvoir gagner sa cabane, lorsqu’il s’agit d’un choix et non d’une nécessité, «c’est disparaître des écrans de contrôle. L’ermite s’efface, il n’envoie plus de traces numériques. Plus de signaux téléphoniques, plus d’impulsions bancaires. Il se défait de toute identité. Il pratique un hacking à l’envers», résume Tesson.
Les habitats en marge sont des abris physiques et métaphysiques qui permettent de revisiter le monde avec une nouvelle perspective. Reclu dans les arbres, le baron perché du conte d’Italo Calvino échappe aux contraintes et condamne les adeptes d’un confort aliénant. Imprégnés des enseignements nomades, les locataires de cabanes sont disposés à se délester du superflu pour s’emplir de l’essentiel. Le choix de l’habitat est un acte politique qui détermine notre rapport au monde.
De nos jours, crise énergétique oblige, un mouvement tourné vers une réhabilitation de l’habitat alternatif s’amorce. Des urbanistes et des architectes tentent d’éveiller la sensibilité écologique et rêvent de réenchanter le monde. «C’est symptomatique de la société de consommation, observait Bob Rubin, historien de l’architecture dans Le Monde en septembre dernier: les signes de résistance sont transformés en commodités, vidés de tout élément gênant, menaçant. Ils deviennent dans le vent.»
Les jeunes mariés vont passer leur nuit de noce dans de luxueux hôtels perchés dans des arbres et Renzo Piano s’empare du tonneau de Diogène. Fasciné par l’idée de «maison minimale», le célèbre architecte a transformé l’abri anarchique de Diogène en une hutte high-tech portant, quel cynisme, son nom. Un habitat réduit au strict nécessaire tout en assurant une autonomie totale.
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Une version de cet article est parue dans la revue Hémisphères, dont le numéro 6 était consacré à la transgression. Un thème à retrouver en podcast dans l’émission Babylone sur la RTS.