LATITUDES

«Street fishing»: les pêcheurs arrivent en ville

Tendance venue des Etats-Unis, la pêche en milieu urbain fait de plus en plus d’adeptes dans les villes helvétiques. Témoignages de passionnés.

Steve Bel a grandi avec ses cannes à pêche. Il pratique la pêche à la mouche en Suisse, celle du saumon en Alaska. Et le street fishing. Comprendre, la pêche en ville, tout simplement. Egalement appelée «urban fishing», elle est en fait vieille comme le monde, comme les villes traversées par des cours d’eau. Mais la discipline connaît un véritable renouveau, sous l’impulsion de trentenaires en mal de grand air et d’un peu de challenge.

Pompier de son état, Steve Bel a fondé l’association Geneva Street Fishing et milite pour que ce sport pas comme les autres fasse de plus en plus d’adeptes. «Bien sûr, la pêche en ville n’est en elle-même rien de nouveau. Mais la pêche a longtemps eu un côté ringard, le type dans ses bottes boueuses et son treillis. Eh bien, c’est fini. La pêche, c’est le contact avec la nature, mais en jeans et baskets.»

Plusieurs facteurs expliquent le phénomène. D’abord, l’amélioration de la qualité de l’eau dans les villes. Fut un temps, pas si lointain, où les pêcheurs avaient plutôt tendance à s’éloigner en campagne pour retrouver une eau claire. Aujourd’hui, au cœur de la Cité de Calvin, comme au très prisé quai de l’Ile, il est possible d’attraper truites et brochets. Un phénomène qui s’étend partout en Europe.

Le street fishing, ou pêche au leurre en milieu urbain, nous vient des Etats-Unis, mais aussi du Japon. Là-bas, il existe des bassins spécialement construits au cœur de zones financières, pour que les banquiers puissent se délasser entre deux tractations. Et tant pis si ce n’est pas très… naturel. Depuis, la pratique a essaimé un peu partout, de Stockholm à Melbourne en passant par Toronto, et de véritables compétitions opposent les meilleurs, comme chaque année à Strasbourg, où seuls les poissons dit maillés, soit supérieurs à la taille minimale permise, permettront de départager le vainqueur.

Jürg Flach tient la boutique Fliegenfischer Shop à Brütten, près de Zurich. Lui-même avoue préférer s’adonner à ce sport en pleine nature, avec un net penchant pour la pêche à la mouche. Mais il confirme la tendance à une pratique décomplexée. «Surtout, les gens apprécient de ne pas avoir à aller loin, de disposer d’un cours d’eau juste en bas de chez eux ou du bureau.» Parmi les spots appréciés, on citera
les bords de la Reuss, à Lucerne, ou encore le lac des Quatre-Cantons, où l’on trouve de grosses truites. Responsable de la communication pour la Kantonaler Fischerei-Verband de Bâle-Ville, Hansjörg Gässler rit lorsqu’on lui demande si le street fishing a la cote. «Le street fishing, je ne sais pas, mais la pêche en ville, ça, c’est sûr.» Et d’égrener les espèces que l’on trouve dans la Birse et, bien sûr, le Rhin.

Dérivé de la culture hip-hop

«La tendance est assez récente en Suisse, confirme Maxime Prevedello, responsable de la communication à la Fédération suisse de pêche. Les street fishers se concentrent sur les carnassiers, la perche, le brochet, la sandre. C’est une pêche plutôt dynamique, on se déplace beaucoup.» Il y voit un dérivé de la culture hip-hop venue de France, «vraiment un esprit très urbain». D’ailleurs, il y a trois ans, la Fédération nationale de pêche française lançait une campagne de promotion montrant de très jeunes gens en bonnet, en skate ou à vélo, avec des slogans comme «la pêche, c’est cool», «fun».

«No kill, respect de l’adversaire et pures sensations», proclamait ainsi une affiche montrant un jeune en jeans et casquette. Le «no kill»? Une pratique interdite en Suisse, qui consiste à remettre les prises à l’eau. «Bien sûr, les street fishers doivent respecter les règlements, mais certains apprécient aussi un petit côté libertaire», souligne Maxime Predevello. De quoi provoquer quelque incompréhension entre l’ancienne génération et ces jeunes urbains pour qui la pêche est un sport et un défi.

Si la tendance est là, elle reste peu organisée. Le 31 août dernier se tenait dans l’ensemble du pays la première Journée suisse de la pêche. Un signe encourageant pour la vitalité de la pratique en Suisse. Steve Bel évoque le millier de permis délivrés à Genève. «C’est très peu. Le potentiel de développement est énorme. Si j’ai créé mon association, c’est justement pour donner plus de visibilité à cette activité.» Et les femmes, dans tout ça? «Elles sont très peu nombreuses, c’est vrai. En Suisse, le street fishing et la pêche restent des activités très masculines. A Genève, en ville, on voit peut-être deux ou trois pêcheuses. Mais il n’y aucun machisme, elles sont évidemment les bienvenues!»
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Une version de cet article est parue dans Swissquote Magazine (no 5 / 2013).