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Le calvaire des petits garages

Formations à des tarifs exorbitants, travaux sous garantie rémunérés au lance-pierre: les constructeurs mettent la pression sur leurs concessionnaires. De tous côtés, la grogne monte.

«Les constructeurs automobiles emploient des armées de bureaucrates qui sortent des hautes écoles et qui n’ont jamais vendu une voiture de leur vie! Ils viennent avec leurs idées absurdes qui vont imposer à un petit garagiste de la Vallée de Joux d’investir 60’000 francs pour changer ses enseignes parce qu’à Francfort ou à Chicago, un type pense qu’une vague serait plus approprié qu’un rond.»

Jean-Luc Pirlot n’a pas de mots assez durs à l’encontre des grandes marques automobiles. Pour le secrétaire général de la section vaudoise de l’Union professionnelle suisse de l’automobile (UPSA), le secteur vit en effet une évolution préoccupante: «Les marques imposent des critères pénibles pour les petits acteurs du marché. Ces contraintes pèsent lourds dans leur budget et n’amènent pas plus de clients.»

Parmi les contraintes, il y a aussi l’équipement: les voitures étant de plus en plus informatisées, les concessionnaires sont obligés de s’équiper en conséquence. «Au total, je dois débourser pour l’outillage des centaines de milliers de francs», explique un concessionnaire en Valais, sous couvert d’anonymat.

Se former ou perdre la marque

L’exigence la plus lourde demeure la formation. «Auparavant, elle était payée par la marque. Aujourd’hui, le concessionnaire est obligé de tout payer», regrette Jean-Luc Pirlot. Et si le concessionnaire déroge à la règle? «Vous perdez la marque. Former des employés spécifiquement à la marque est une des conditions sine qua non pour demeurer agent agréé.»

Les tarifs des formations dépendent d’une marque à l’autre, et coûtent généralement autour de 500 francs par jour. Mais parfois beaucoup plus: «Chez Mercedes, pour les techniciens spécialisés, cela revient à plus de 12’000 francs pour cinq jours», révèle Jean-Luc Pirlot. Sans parler du coût induit par l’absence de l’employé en formation. «Dans un garage où ne travaillent que le patron et un seul employé, il est quasiment impossible de dégager du temps. L’absence est trop lourde à gérer», souligne le secrétaire général de l’UPSA Vaud.

On l’aura compris: les contraintes imposées par les constructeurs pénalisent davantage les petits garages, qui peinent à garder leur marque. Et même s’il respecte scrupuleusement son cahier des charges, le concessionnaire n’est pas à l’abri d’une rupture de contrat. «Nous avons vu des cas où le constructeur regarde la carte de la Suisse et se dit: “Là il y a deux garages qui sont trop près l’un de l’autre, donc j’en enlève un”, raconte Jean-Luc Pirlot. C’est la logique de David contre Goliath: le petit va se battre un moment mais n’a souvent pas les moyens d’aller jusqu’au bout de la procédure judiciaire».

Rétention d’informations

Par effet domino, les contraintes imposées par les marques à leurs concessionnaires ont un impact direct sur les garagistes et les carrossiers indépendants. Il leur est de plus en plus difficile de réparer les véhicules de marques qui verrouillent le marché. «Les constructeurs font de la rétention d’informations en ne fournissant pas les données techniques, et proposent de la formation continue qui coûte trop cher, explique Thierry Maradan, président de la Fédération des carrossiers romands (FCR). Les marques françaises, comme Peugeot ou Renault, communiquent relativement facilement les informations nécessaires. En revanche, les marques allemandes, comme BMW ou Mercedes, sont beaucoup plus restrictives.»

Pour la Commission fédérale de la concurrence (COMCO) à Berne, ces cas représentent des entraves caractérisées au bon fonctionnement du marché. «D’après une communication de la COMCO, basée sur la loi sur les cartels, les marques doivent mettre à disposition des garagistes indépendants les informations nécessaires à la bonne réparation de leurs véhicules, confirme Patrick Ducrey, directeur suppléant du secrétariat de la COMCO. Nous avons reçu quelques plaintes ces dernières années, mais nous n’avons pas pu constater de refus systématique de la part du constructeur…»

Mais même si une restriction de la concurrence était constatée, aucune sanction directe ne serait appliquée, car la «communication» de la COMCO n’a pas valeur de loi. Cette impunité des constructeurs condamne-t-elle fatalement à terme les acteurs indépendants du marché? Pas complètement, selon Jean-Luc Pirlot: «Le parc automobile vieillit gentiment. Il y a encore beaucoup de voitures anciennes qui circulent et les petits garages sont là pour les entretenir.»

Se mettre en réseau

Mais pour combien de temps encore? «Le petit garagiste qui a appris à réparer de la mécanique traditionnelle, s’il ne se forme pas, aura à terme un parc vraiment réduit de véhicules à entretenir et de moins en moins de clients, relève le secrétaire général de l’UPSA Vaud. Cela va devenir de plus en plus difficile pour lui.»

«L’atelier qui n’envoie pas ses collaborateurs faire de la formation ne survivra pas, renchérit le président de la Fédération des carrossiers romands Thierry Maradan. La technologie des accessoires automobiles évolue rapidement. Il y a une vingtaine d’années, on changeait un phare en un quart d’heure. Aujourd’hui, ce travail peut prendre jusqu’à deux heures et demi.»

Celui qui ne s’occupe que de service après-vente peut-il éviter d’aller se former chez une marque? «Il existe encore des fournisseurs indépendants de pièces détachées qui proposent des formations multimarques adaptées aux garagistes, à des meilleurs prix que celles des constructeurs», indique Jean-Luc Pirlot.

La pression s’est passablement accentuée sur la profession. «Il y a vingt ans, le garagiste qui faisait bien son travail de vente s’en sortait. Le système ronronnait. Aujourd’hui, le garagiste doit avoir une mentalité d’entrepreneur. Je leur conseille parfois de quitter leur marque et de se mettre dans un réseau, comme par exemple Delta Car ou Le Garage, qui réparent non seulement des véhicules toutes marques, mais proposent aussi des formations au meilleur prix.»
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TEMOIGNAGES

«Comme les petits magasins, on se fait bouffer par les gros!»

René Diserens, Garage de Peney Diserens SA, Peney-le-Jorat (VD)

«J’étais agent Opel depuis 34 ans et on m’a retiré la marque. Cela m’a fait mal. J’ai été victime de la concurrence à mort, voulue par la marque, que se livrent deux grands distributeurs Opel dans la périphérie de Lausanne. Je dépendais de l’un de ces distributeurs et j’en ai subi les conséquences. L’autre a voulu écraser les petits garages de son concurrent, et il a fait pression auprès de l’importateur pour me retirer la concession. Il a pris pour alibi que je ne remplissais pas totalement les standards imposés. Et quels standards! Cela va des licences informatiques extrêmement chères pour avoir accès aux données techniques, à un ameublement aux couleurs de la marque qui coûte dix fois le prix du marché. La liste est infinie. Il est évidemment difficile de respecter ces contraintes.»

«Après 34 ans de bons et loyaux services, l’importateur m’a envoyé une lettre comme à un malfrat. Il n’a même pas respecté le délai de deux ans contractuel pour me retirer la marque. Une méthode à la limite de la légalité. J’ai bien essayé de me battre, mais c’était extrêmement difficile. Le for juridique était à Zurich et un avocat coûtait cher. Je n’étais pas sûr d’aboutir. Un collègue est passé par là et il a abandonné, lui aussi. Comme les petits magasins, nous nous faisons bouffer par les gros!»

«On ne peut pas standardiser l’être humain»

Pierre-Daniel Senn, Garages Automobiles Senn SA, Neuchâtel, La Chaux-de-Fonds et Yverdon

«Aujourd’hui, le constructeur impose des contraintes au concessionnaire qui vont jusqu’à l’absurde: dans le manuel d’une marque haut de gamme, il est indiqué qu’il faut repérer si le client est gaucher ou droitier pour lui proposer une tasse de café avec la anse placée du bon côté… C’est d’une prétention démesurée et cela n’a plus rien à voir avec le métier de garagiste! On ne peut pas standardiser pareillement les gens. L’outillage imposé par la marque constitue aussi un problème. Il y a eu une inflation incroyable du nombre d’outils spéciaux pour réparer une voiture, avec l’apparition de l’électronique. Nous devons acheter ces outils mais ensuite il faut rentabiliser notre investissement, en vendant chaque année davantage. Il y a aussi eu des abus dans ce domaine. Par exemple, exiger que tout concessionnaire possède un outil dont la probabilité d’utilisation est extrêmement faible.»

«Le marché stagne actuellement et, faute d’avoir pu réaliser de bonnes ventes, beaucoup de mes collègues, surtout à la campagne, ont dû abandonner leur marque et faire autre chose, comme ouvrir un shop ou se spécialiser dans les voitures anciennes… En tant que patron du garage Senn à Neuchâtel, j’ai réussi à conserver mes marges car j’ai pu me développer en achetant deux autres garages à La Chaux-de-Fonds et à Yverdon. J’ai réussi à financer les investissements demandés par le constructeur. Mais il est clair que les exigences des marques renforcent le mouvement de restructuration auquel on assiste actuellement sur le marché de l’automobile.»

«Le système de garanties nous pose problème»

Un revendeur agrée de la marque Volkswagen (VW), en Suisse romande

«Je suis revendeur agrée de la marque Volkswagen (VW) et point de service. Parmi les standards imposés par la marque, le système de garanties nous pose problème. Non seulement VW propose deux ans de garantie de base pour un véhicule, mais le client peut acheter une garantie pour les années suivantes, jusqu’à cinq ans. La fidélisation du client est bien sûr quelque chose de positif, mais le client exige beaucoup et l’importateur paie peu… Et nous, nous sommes entre les deux. Nous facturons notre travail de réparation à l’importateur mais par rapport aux heures que l’on passe sur une voiture, il nous rembourse des clopinettes! Le hic, c’est que nous ne pouvons pas justifier d’avoir passé vingt heures en réparation. Nous ne sommes dédommagés que pour quelques heures. C’est vraiment la croix et la bannière pour être rémunéré!»

«De plus, l’importateur nous impose régulièrement ce qu’on appelle des «audits de garantie», où nous devons remplir tous les points d’une procédure. Ce contrôle peut couvrir plusieurs années de réparations. Si l’on remplit correctement la procédure, on nous paie. Mais si le pourcentage d’erreurs dépasse les 10%, on écope d’une amende. Nous avons eu dernièrement un audit de ce genre, et d’après une première estimation, l’importateur pourrait nous facturer jusqu’à 80’000 francs d’arriérés. C’est difficile à assumer.»
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Une version de cet article est parue dans PME Magazine.