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La Palice, roi de l’été

De l’Office fédéral de la statistique à Doris Leuthard, les disciples des formules creuses et les enfonceurs de portes ouvertes sont au sommet de leur art sous la torpeur estivale.

Connaissez-vous Jacques II de Chabannes, qui fut maréchal de François 1er? Probablement, mais sans le savoir, puisque la postérité a retenu surtout un de ses autres noms: le Seigneur de La Palice. Qui doit sa célébrité non pas à un supposé et consommé art de la tautologie, mais à une bête erreur de transcription.

Une bourde qui vint altérer le début de la chanson que ses soldats composèrent en l’honneur du chef tombé au combat: «Hélas, La Palice est mort, Est mort devant Pavie; Hélas, s’il n’était pas mort, Il ferait encore envie.» Hommage devenu, à force d’être égosillé: «S’il n’était pas mort, Il serait encore en vie.» A quoi tient la mémoire des hommes…

Mais si aujourd’hui encore on se souvient de La Palice, c’est surtout grâce à des milliers de discours, prononcés depuis, qui se mordent allégrement la queue. La tautologie et le galimatias ne sont-ils pas les seules sorties de secours praticables pour un orateur n’ayant strictement rien à dire et contraint pourtant de le dire haut et fort — cas plus fréquent qu’on ne pense? Quatre exemples proches et récents montrent en tout cas que, s’il est bien mort, et à défaut de faire envie, le bon Seigneur de La Palice compte toujours autant de disciples.

«L’exercice d’une activité rémunérée constitue en soi une protection efficace contre la pauvreté.» Dans un concours d’enfonçage de portes ouvertes, l’Office fédéral de la statistique (OFS) pourrait sans doute prétendre à une médaille bien méritée. A y regarder pourtant, cette lapalissade-là n’en est malheureusement pas vraiment une: parmi les 580’000 pauvres que compterait la Suisse, soit 7,6% de la population, 130’000 exercent une de ces fameuses activités rémunérées. L’exception laborieuse et scandaleuse qui toujours confirme la règle?

«La technologie ne résout pas tous les problèmes», voilà qui n’est pas mauvais non plus dans le style «j’énonce des évidences avec la même vigueur, la même autorité, le même enthousiasme que si c’était la découverte de la relativité ou d’une planète habitée». Bravo donc à Doris Leuthard devisant des mesures à prendre après la collision ferroviaire de Granges-Marnand. Pour être sûre qu’on ait bien compris, la Conseillère fédérale redonne un grand coup de botte contre la porte voisine, pourtant béante: «La sécurité prime sur la vitesse.» On aurait bien aimé entendre, juste pour rire, dame Doris affirmer le contraire.

Quant aux mésaventures d’Oprah «Bécassine» Winfrey au pays d’Heidi, on aurait tort, de l’aveu finalement de la principale intéressée, d’en faire tout un fromage, fût-il d’alpage. La célèbre star cathodique américaine estime en effet que «cet incident arrivé en Suisse» — le refus d’une vendeuse dans une boutique zurichoise de lui montrer un sac à main coûtant 38’0000 dollars — eh bien, n’était finalement rien d’autre «qu’un incident arrivé en Suisse».

Elle trouve même, la peu rancunière Oprah, que les excuses des autorités touristiques et de la boutique fautive seraient superfétatoires, puisque l’employée ne pouvait pas savoir qu’elle, la richissime animatrice, possédait la carte noire — autrement dit le sésame de tous les sésames, la plus chère de toutes les cartes bancaires. Faut-il donc comprendre que le racisme, le mépris et la discrimination ne peuvent s’exercer véritablement qu’à l’encontre de quelqu’un possédant une carte noire? Et que les autres n’ont qu’à s’en prendre à eux-mêmes si on ne leur déroule pas partout le tapis rouge?

«L’Etat a intérêt à mettre de l’ordre dans ses affaires», assène de son côté Nicolas Aubert, procureur rattaché au parquet régional de La Chaux-de-Fonds pour justifier la perquisition effectuée au domicile du journaliste Ludovic Rocchi. Après avoir fait le constat qu’un Etat ayant intérêt à mettre de la pagaille dans ses affaires reste à inventer, on peut aussi se demander ce qui vaut mieux: éponger les fuites ou avoir pensé d’abord à les colmater? Et aussi ce qui est plus grave: qu’un dysfonctionnement soit révélé ou qu’il ait eu lieu? Punir d’abord le coupable ou le messager?

Devant de tels dilemmes, La Palice en reste sans voix. A défaut, on se contentera d’un bon vieux proverbe chinois: «Le lièvre mort, le chien de chasse est mis à la cuisson.»