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Les méchants paradoxes de l’été politique

Même au ralenti, la politique continue de produire son petit tas de vilains paradoxes, par vignette, requérants ou Roms interposés. Critique estivale à la lueur de l’aphoriste polonais Stanislaw Jerzy Lec.

Assoupie au soleil, la vie politique? Noyée par les orages? Certes, mais n’en continuant pas moins, à la manière d’une poule sans tête, à produire son petit tas de méchants paradoxes. Surtout si l’on pimente la chose avec les sentences d’un maître en incongruités — les lectures d’été sont faites pour ça — l’aphoriste juif polonais Stanislaw Jerzy Lec (1909-1966).

Un type, Lec, qui s’est évadé d’un camp de concentration déguisé en officier allemand et auteur des «Pensées échevelées» puis des «Nouvelles pensées échevelées» (Editions Noir sur Blanc), dont Umberto Eco a pu dire que «toute personne civile et réfléchie devrait lire au moins trois ou quatre lignes chaque soir avant de s’endormir (si elle le peut encore).»

Un homme qui savait en tout cas poser, à défaut des bonnes questions, du moins celles qui rafraichissent. Du genre: «Quand un cannibale mange avec une fourchette et un couteau, est-ce un progrès?» Et signifier d’impitoyables constats: «Chaque régime finit par devenir un ancien régime.»

A propos de questions tordues, celle qui déchire Bremgarten ces derniers jours n’est pas mal non plus: les requérants du nouveau centre que vient d’ouvrir la Confédération sont-ils franchement «interdits de périmètre» — c’est l’interprétation de leurs défenseurs — ou gentiment «priés d’éviter les zones sensibles» — ce qu’affirme la commune et l’Office fédéral des Migrations (ODM)?

Savoir que le dit périmètre ou les présupposées zones sensibles se résument essentiellement à deux lieux — la piscine et l’école — n’aide pas beaucoup. Nous voilà avec bien peu de certitudes, hormis peut-être celle que «dans une avalanche aucun flocon ne se sent jamais responsable».

Certains juristes estiment néanmoins que parler de zones sensibles n’est qu’un euphémisme et que la mesure équivaut bien à une interdiction de périmètre. Mesure qui ne reposerait sur aucune base légale à moins de considérer que «les requérants dans leur ensemble sont des trafiquants de drogue et des fauteurs de troubles», explique ainsi le professeur de droit constitutionnel Markus Schefer.

A ceux qui dénonceraient l’angélisme de ces arguties et appelleraient les responsables politiques à ne plus «tourner le dos à la réalité», Lec aurait sans doute rétorqué ceci:«Ne pas tourner le dos à la réalité? Oui, mais est-ce que la réalité ne nous entoure pas de toutes parts?»

Et dans la foulée aurait été capable d’expliquer pourquoi, même inoffensifs, des requérants rôdant autour d’une école ou d’une piscine peuvent nous sembler aussi choquants que la présence d’un mendiant rom au coin d’une de nos opulentes ruelles: «Le véritable exhibitionnisme consiste à montrer ce qu’on n’a pas.»

Puisque l’on parle de Roms, l’arrestation de trois individus à Genève pour «trafic d’êtres humains, usure et menaces» a fait réagir de façon plutôt minimaliste Dina Barzabachi, l’avocate et présidente de l’association Mesemrom: «Il est clair qu’il est ignoble d’infliger des taux d’intérêts démesurés à des personnes qui sont dans la misère mais de là à parler de réseau ou de traite…» D’ailleurs, «il n’y aura pas de condamnation car la traite d’être humains n’existe pas à Genève». D’ailleurs encore, et enfin, l’un des trois prévenus est «totalement intégré et c’est un bosseur».

Devant tant de fausse candeur, on resterait sans voix sauf pour suggérer avec Lec que «même les nénuphars tremblent à l’idée qu’on puisse assainir le fond du marécage». Si Dina Bazarbachi voit tout en tout petit, l’UDC, elle, à son habitude, voit tout en grand et croit distinguer dans cette affaire rien moins que «la pointe de l’iceberg de différents réseaux maffieux». Vraiment? Ne serait-ce pas plutôt que «les mythes sont des commérages qui ont vieilli»?

Saluons enfin l’aile verte du PS, «proche de l’ATE et des citadins alémaniques qui peuvent vivre sans voiture», dixit le conseiller national Jacques-André Maire. Bref, selon leurs ennemis, un ramassis d’anti-bagnoles primaires et qui pourtant s’opposent à l’augmentation de la vignette de 40 à 100 francs.

Oui, saluons l’impartialité, la hauteur de vue, l’altruisme des bobos verts et rouges, qui refusent de détrousser une catégorie de citoyens pas loin de représenter pour eux, d’habitude, le diable en personne, ou plutôt au volant: les automobilistes.

D’autant plus impartiaux et altruistes ces socialistes-là que d’ordinaire, les nouvelles taxes ne leur font pas peur. Sauf, mince, que leurs motivations se révèlent ici bêtement idéologiques: l’argent supplémentaire collecté grâce à l’augmentation de la vignette servirait, horreur, à financer de nouvelles routes.

Bref, des opposants de gauche à l’augmentation de la vignette, on pourrait dire ce que Lec dit de tous les hommes, «qu’ils ne sont pas égoïstes». La preuve: «Personne ne porte son propre deuil.»

Il ne reste donc plus qu’à replonger, rassuré, dans la canicule ou les orages. En étant bien conscient, désormais, que «les conversations sur la pluie et le beau temps deviendront intéressantes quand apparaîtront les premiers signes de la fin du monde.»