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Après les lampions, la gueule de bois

Les politiciens ne sont plus guère applaudis que les soirs de premier août. Le reste de l’année, c’est un mépris populiste grandissant qui les attend.

Ils auront eu leur petit moment annuel de chaleur humaine. Ce discours devant le feu, où, sous les étoiles, un bon peuple faussement ébaubi fait semblant de les écouter, allant même parfois jusqu’à mimer des applaudissements. Plus encore que de vins d’honneur, ce soir-là les politiciens repartent ivres de mots.

Le plaisir était tellement grand, qu’on a fini par le doubler, depuis que le premier août se célèbre sur deux soirs. Deux performances elles-mêmes démultipliées: c’est ainsi que deux soirs durant mais dans neuf communes, l’humble président Maurer a pu réciter sa prière patriotique, qui aurait tiré des larmes à un cachalot: «Les attaques contre la Suisse sont de plus en plus fréquentes, mais la petite Suisse doit résister et défendre ses valeurs.» Sortez les mouchoirs à croix blanches.

L’avantage du discours du 1er août, c’est qu’on peut y égrener de ronflantes platitudes sans risque d’être contredit ou moqué. Et tant pis si le phrasé patriotique officiel tourne à la monomanie. Ainsi l’encore plus humble ministre des affaires étrangères Burkhalter — qu’on ne savait pas si blochérien, mais que sait-on de cet homme? — est venu répéter, sur un autre ton peut-être, mais sur le fond très exactement les jérémiades présidentielles.

A savoir que «le dernier mot doit revenir au peuple suisse, véritable souverain du pays, seul à même de décider de l’évolution des relations avec l’Union. C’est là une question d’autonomie nationale. Il en a toujours été ainsi, et il en restera ainsi.» Là, le risque d’être contredit était d’autant moindre que ces fortes et creuses paroles ont été prononcées à Riga, en Lettonie. On aurait aimé entendre les mêmes en plenium à Bruxelles.

Mais soyons compatissants: aussitôt les lampions éteints et les allumettes de Bengale consumées, l’homme politique retourne à un quotidien où plus grand monde n’est là pour le congratuler. Tellement déconsidéré et mal aimé, le politicien, désormais, qu’il lui arrive de se faire mépriser par ceux-là mêmes qu’il entend aider.

Ainsi des socialistes, prêts à voler au secours de médias en gros désarroi, sous la concomitance de diverses plaies d’Egypte, toutes en «ion»: concentration, uniformisation, pression, érosion. Les camarades s’émeuvent: c’est ainsi la liberté de la presse et le débat démocratique qu’on assassinerait. Et de proposer donc un soutien direct et sonnant au journalisme de qualité, quel qu’en soit le support — presse écrite, sites en ligne, radio, télévision.

Réponse de la bergère aux gentils moutons: trop tard, mes enfants. Le journaliste, au sens noble du terme — enquête, reportage, vérification, mise en perspective et tout le tremblement — est bien en voie de disparition, «comme le crocodile de Siam ou l’anguille d’Europe, assène non sans ironie et désolation Yves Petignat dans le Temps. Mais pourquoi aller contre le marché roi?» Contre un souverain qui décrète non sans raison que décidément, on ne fera jamais boire un âne qui n’a pas soif.

Le politicien, au-delà du mépris populiste qui semble s’attacher de plus en plus à sa personne et à sa fonction, sait pourtant parfois encore montrer à quoi il peut servir. On l’a vu lors du lancement de l’initiative du GSsA pour la suppression du service militaire obligatoire.

Avec deux types de discours. Ceux d’abord des politiques — telle la socialiste bernoise Evi Allemann — prônant une armée réduite à des volontaires motivés. Avec des arguments solides: l’armée actuelle coûte trop cher, elle est surdimensionnée en comparaison de ses voisines, et déjà plus de la moitié des citoyens échappent, par des moyens pas toujours sincères et licites, à l’obligation de servir.

Et puis, à côté, il y a eu les diatribes d’associations pacifistes, féministes et civilistes, exigeant la suppression pure et simple d’une armée qui serait dangereuse, nuisible, hostile aux femmes et ne servirait qu’à sécréter les germes de la violence. Donnant ainsi raison aux casques à boulons qui affirmaient, jusqu’ici sans preuve, que le but ultime de l’initiative était bien la disparition de l’armée.

On voit donc que la politique, cela reste un métier. Et que si l’on ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif, il est encore plus compliqué, semble-t-il, de l’empêcher de braire à tout-va.