Le réseau social pour professionnels génère des revenus hors du commun pour une société online. Décryptage d’un succès impertinent, qui repose sur la vente des informations de ses utilisateurs.
Le 18 mai 2012, le géant Facebook se lance dans la cotation en Bourse la plus branchée de l’histoire. A 104 milliards de dollars, sa capitalisation est la plus élevée jamais enregistrée pour une société online. Mais, quelques semaines plus tard, son action chute de près de 50%, avant de reprendre péniblement quelques couleurs.
Exactement à la même période, comme un symbole, la cote de LinkedIn a de son côté enregistré une forte hausse (+60%). Une envolée qui reflète les excellentes perspectives financières du plus grand réseau professionnel sur internet. Fin 2012, les revenus de l’entreprise ont atteint 895 millions de dollars, une augmentation de 71% par rapport à l’exercice précédent. Une réussite insolente, qui est un véritable pied de nez aux géants de la Silicon Valley.
Comment la modeste start-up lancée en 2002 a-t-elle réussi à générer un tel chiffre d’affaires? «On pense souvent à LinkedIn comme s’il s’agissait d’un réseau social, mais son business model va bien plus loin», explique Martin Pyykkonen, analyste chez Wedge Partners, une société américaine d’analyse de données du marché.» Si Twitter et Facebook génèrent la majeure partie de leurs revenus grâce à la publicité en ligne, LinkedIn s’appuie principalement sur la vente d’informations au sujet de ses utilisateurs. «LinkedIn vend votre CV à des compagnies à la recherche d’employés. Elles accèdent ainsi à une base de données en ligne de 190 millions de professionnels à travers la planète», précise Sree Sreenivasan, un spécialiste des réseaux sociaux de la Columbia University. Un précieux carnet d’adresses, nettement supérieur à celui dont disposent les petites et moyennes sociétés de ressources humaines.
Ce service, intitulé «hiring solutions», est notamment utilisé par 85 sociétés du classement «Fortune» des 100 meilleures entreprises américaines. Les revenus liés à cette activité ont augmenté de 95% lors du troisième trimestre 2012 en comparaison à 2011, et représentent près de 50% du revenu total de LinkedIn. «Une firme paie en moyenne 8’000 francs par utilisateur pour exploiter ce service, ce qui permet à LinkedIn d’engranger des millions», souligne Brian Carter, auteur du livre «LinkedIn For Business». Aujourd’hui, 30% des employés de LinkedIn se dédient uniquement à la vente de ce service.
En Suisse, ces «hiring solutions» sont déjà exploitées par les ressources humaines de plusieurs sociétés. «Chez Nestlé, la recherche de postes commence à s’effectuer grâce à LinkedIn, et nous allons de plus en plus l’utiliser», explique Philippe Oertlé, porte-parole du géant de l’alimentaire. Les principales agences de recrutement comme Manpower et Adecco emploient aussi activement le réseau social. «Si un employeur sait précisément quel type de collaborateur il désire, cette base de données s’avère être très efficace, explique Olivier Gossweiler, le responsable des réseaux chez Adecco et adepte de LinkedIn depuis plusieurs années. Le contact avec les employés potentiels est plus rapide, et il est facile de recruter à l’international.» Susann Knöpfel, de Manpower, souligne également «la rapidité et l’efficacité» de LinkedIn.
La compagnie possède d’autres sources de revenus. «LinkedIn consolide ses bénéfices grâce à la vente d’espaces publicitaires en ligne, ce qui constitue 25% de son revenu, relève Martin Pyykkonen de Wedge Partners. Le réseau permet également à ses utilisateurs particuliers de souscrire à un compte payant, dit premium, qui permet, par exemple, de contacter n’importe quel membre par e-mail.» Un type d’abonnement qui coûte de 20 à 65 francs par mois. Cette dernière activité génère environ 20% du revenu total du réseau social.
LinkedIn bénéficie en outre d’un management efficace, largement salué par les analystes. «La société est restée concentrée sur ses objectifs et ne s’est pas dispersée», explique Martyn Pyykkonen. «La culture de management chez LinkedIn est plus proche d’une entreprise traditionnelle des années 1990 que de celle d’une start-up typique de la Silicon Valley, note l’auteur Brian Carter. Son CEO actuel, Jeff Weiner, un ancien de Yahoo! aujourd’hui âgé de 40 ans, n’a pas le profil d’un Marc Zuckerberg.»
L’activité de LinkedIn n’est toutefois pas dénuée de risques. En juin 2012, un hacker s’est procuré plus de 6,5 millions de mots de passe des membres du réseau et a mis en lumière la fragilité du système de sécurité de l’entreprise. Mais malgré ce dérapage, les perspectives du groupe paraissent radieuses. La compagnie cherche à développer son contenu, pour inciter ses usagers à se rendre plus fréquemment sur son site. Actuellement, les internautes y passent en moyenne 18 minutes par mois, contre 6h30 sur Facebook.
«LinkedIn est encore sous-utilisé, même aux Etats-Unis où près de la moitié de ses membres résident. Il peut encore s’y développer», relève Sree Sreenivasan. Mais surtout, le réseau social regarde vers l’Europe et les marchés émergents. «Il va y trouver des millions de travailleurs qualifiés, estime Martyn Pyykkonen; les possibilités de croissance sont immenses.»
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Une version de cet article est parue dans Swissquote Magazine (no 1 / 2013).