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L’absurde débat sur les naturalisations

La nationalité suisse, personne n’en veut, c’est pourquoi le parlement durcit ses conditions d’obtention. Ubu sous la coupole.

Il n’y avait pas d’urgence. Le parlement fédéral a débattu pourtant de la question d’un durcissement du processus de naturalisation. Non sans une certaine mesquinerie. Sur quel raisonnement de cavernicole apeuré par exemple fonder ce saut périlleux arrière: que désormais les années vécues en Suisse entre l’âge de 10 et 20 ans ne compteront plus double. Que donc dix ans d’attente avant la moindre demande sera la norme pour tout le monde, quels que soient les cas et situations.

Quant à la nouvelle obligation de non seulement savoir lire une langue nationale mais aussi l’écrire, la conseillère nationale vaudoise Ada Marra en a pointé toute l’absurdité: avec un critère pareil, que faire des 400’000 illettrés de souche que compte notre grand pays? Les déchoir de leur nationalité? Les expulser? Les renvoyer de force à l’école? Leur taper sur les doigts à coups de règle? Les jeter dans le Rhin?

L’ardente Ada en a tiré deux conclusions qu’on peut trouver caricaturales mais qui ont le mérite de jeter un vrai doute sur le bien-fondé d’une telle surenchère. D’abord que ce parlement-là ne serait pas xénophobe — pour tout autre qu’une militante du PS vaudois, cela irait sans dire — et que les vrais mal aimés sous la coupole sont plutôt les pauvres. Les forfaits fiscaux ne sont-ils pas là pour prouver que la Suisse adore les étrangers à condition qu’ils aient de quoi, et pas qu’un peu?

Le rapport avec les naturalisations? Ada Marra part du principe que les riches savent forcément écrire et que les pauvres c’est moins sûr. Et que ce sont donc eux qui se retrouvent discriminés par les règles du jeu.

Admettons: il aurait peut-être suffi d’affirmer qu’écrire une langue étrangère est infiniment plus difficile que la parler correctement et que ce serait là un moyen détourné et peu élégant de restreindre l’accès à la nationalité suisse. Que l’urgence, c’est plutôt l’intégration que la naturalisation. Que le problème, ce ne sont pas ceux, installés durablement en Suisse, qui demandent leur naturalisation, mais plutôt ceux, tout aussi durablement installés, qui ne la demandent pas.

«La nationalité suisse n’attire pas les étrangers, seuls 2% d’entre eux se font naturaliser, c’est nul», a ainsi rappelé le vert Antonio Hodgers. C’est-à-dire 2% des 740’000 étrangers résidant en Suisse et remplissant les conditions de naturalisation.

L’autre argument d’Ada Marra est de rappeler que la naturalisation donne surtout le droit de vote — et n’octroie aucune prestation sociale supplémentaire. Que donc le message ainsi adressé à l’étranger résidant serait: «Travaille et tais-toi.»

On sera moins convaincu par l’invocation à gauche des célébrités sportives d’origine étrangère qui ont couvert la Suisse de gloire grâce à l’obtention du fameux passeport. Les jeunes sportifs d’élite sont peut-être justement ceux qui ont le moins besoin d’un passeport supplémentaire. Pour un Dario Cologna, on rappellera les deux mauvais exemples des footballeurs Petric et Rakitic, dotés de la double nationalité et qui ont fini par mettre leur talent au service de l’équipe nationale de Croatie.

Et puis, pour justifier de rendre les naturalisations moins accessibles aux jeunes, les députés UDC ont actionné un cliché — «ce sont justement les jeunes qui posent le plus de problème» — et un argument de concierge dans son escalier: «ils auront bien assez de temps pour se faire naturaliser». Un raisonnement dont la conseillère fédérale Sommaruga a fait justice en soulignant qu’il punissait les mauvaises personnes: «Celles qui se conforment aux règles et sont bien intégrées. Les criminels n’ont de toute façon aucune chance.»

L’étrange opération que voilà, en tout cas, consistant à rendre plus difficile d’accès quelque chose — la nationalité suisse — dont personne ne veut.