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Happy hours: une loi qui saoule

La nouvelle législation sur l’alcool dégage un léger parfum d’hypocrisie, mêlant au petit bonheur permissivité et prohibition. Certains l’ont déjà dans le nez.

Les sénateurs sont donc des hommes — et des femmes — comme les autres. En aurait-on douté, les conseillers — et conseillères — aux Etats viennent cette fois de lever toute équivoque. En votant, certes du bout des lèvres, 22 voix à 17, contre l’interdiction des happy hours. Mesure que d’aucuns jugeront assassine mais qui figure dans la nouvelle loi sur l’alcool prudemment distillée par le Conseil fédéral.

Une loi dont le but à moitié avoué, mais qui ne sera guère pardonné par les intéressés, est de mettre, si pas au pain sec du moins à l’eau claire, des adolescents supposés pochtrons comme jamais.

Si les heures heureuses ont survécu à la soif d’interdiction et de prohibition du gouvernement, l’interdiction des ventes nocturnes d’alcool dans les commerces a été validées par des sénateurs qui disposent probablement, eux, de multiples autres sources d’approvisionnement. Davantage c’est sûr que les blancs becs et les toutes aussi blanches colombes, ouvertement visés par la mesure.

Pas de coup de pouce supplémentaire en revanche pour la prévention, le Conseil des Etats ayant retoqué une proposition de la gauche d’augmenter la taxe sur l’alcool pur. 30 millions sont ainsi partis en fumée, tant pis pour la propagande. Un coup de lame qui en a rendu furieux plus d’un, dont le Vert Luc Recordon trouvant qu’ainsi la nouvelle loi ressemblait à «une promotion de l’alcoolisme».

Chez les socialistes,le président Levrat a beau eu brandir de jolies et colorées fioles de vodka à deux francs pièce, présentées en quelque sorte comme les carambars des temps modernes propres à faire chavirer sales gosses et têtes blondes, rien n’y a fait.

Que sont-elles d’ailleurs devenues, ces fioles, s’interrogeront les esprits suspicieux. N’ont-elles pas pu servir à agrémenter le retour des sénateurs dans leurs pénates respectifs?

Bien sûr, il reste cette disposition forte, obligeant les bistrotiers à proposer au moins trois boissons sans alcool à meilleur marché que le moins cher des poisons alcoolisés.

Bien sûr le seuil d’un prix minimum sera désormais imposé pour tout alcool. Ces saines mesures ont pourtant provoqués chez les empêcheurs professionnels de picoler en rond des commentaires pas vraiment fins. Tel Jean-Félix Savary, secrétaire général du Groupement romand d’études des addictions (GREA), se réjouissant que ce prix minimum imposé ne «touchera pas l’industrie suisse», puisque «les alcools les moins chers sont importés».

Une industrie locale qui ferait preuve «d’un plus grand sens des responsabilités» que les «grands groupes internationaux», s’embarrassant moins de «considérations éthiques». On ne pensait pas que le patriotisme obtus, le nationalisme étroit irait se ficher si profond: dans les bouteilles. Et de pointer un doigt accusateur contre un gros brasseur danois sponsorisant l’équipe suisse de football. C’est sûr, s’il avait fallu compter sur Cardinal…

Au final, si, comme le veut la sagesse populaire, on ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif, on peut supposer qu’il serait tout aussi difficile, saisi d’une pépie irrésistible, de convaincre le même équidé à longues oreilles de se mettre au régime sec. Et qu’à dix-sept ans, foin des bocks et de la limonade, le besoin de boire fort et beaucoup a peut-être des causes diverses, compliquées, irrépressibles, qu’une simple loi issue de cerveaux sobres et adultes ne suffirait à éteindre.

Quant à ceux qui s’imaginent que le fameux, le terrifiant «binge drinking» — cuite-minute ou biture express en bon français — date d’aujourd’hui, on pourra les soupçonner d’avoir ou la mémoire courte ou d’être de mauvaise foi. A moins que ce ne soit les deux.