GLOCAL

Nucléaire: le retour du pragmatisme

Après Fukushima, le nucléaire semblait enterré. C’était sans compter avec le débat sans merci que va provoquer l’initiative des Verts fixant un calendrier de sortie. Tout ou presque est redevenu comme avant.

La mère de toutes les batailles aura donc bien lieu: l’heureux peuple suisse devra se prononcer sur une question d’une simplicité biblique mais d’une importance cosmique, pas moins. Pour ou contre le nucléaire. Autrement dit la filière des allumeurs de réverbères contre les chevaliers de l’apocalypse. Miam!

Tout ça grâce à l’initiative déposée des Verts et fixant un calendrier précis de sortie: l’arrêt de Beznau I dès la validation du texte par les urnes — aux environs de 2015 — suivie de la fermeture progressive des autres centrales, jusqu’à la dernière d’entre elles, Leibstadt, en 2029.

Et ça ferraille déjà à tout va. Le parti radical sur ce sujet n’est jamais le dernier à dégainer le sabre laser. Avec cette fois un doigté tout jésuitique. Oh bien sûr les radicaux soutiennent officiellement la nouvelle politique énergétique du gouvernement, accouchée dans l’affolement post-Fukushima et décrétant que l’avenir serait au tout renouvelable.

Soit, mais c’est un soutien de l’extrême bout des lèvres. Les caciques du grand vieux parti se montrent certes d’accord de ne pas remplacer les centrales actuelles quand elles seront au bout de vieux rouleaux. Mais tout en laissant la porte ouverte à d’éventuelles centrales de nouvelle génération que les progrès technologiques auront rendues d’ici là merveilleusement sûres, bien plus sûres que les cocottes-minutes actuelles.

Sauf que question nouvelle génération, l’opinion publique a déjà donné. Après Tchernobyl, les Folamour du lobby nucléaire l’avaient juré: la cacade atomique c’était fini. Les centrales dangereuses étaient mortes avec l’impéritie soviétique. Fukushima est venu depuis, bien sûr, doucher cette tranquille arrogance.

Pourtant le débat ne s’est pas éteint plus vite que la centrale éventrée. On peut même constater que tout ou presque est redevenu comme avant. Que le moment d’émotion passé, on est retourné déjà à un pragmatisme énergétique qui semble indestructible. Et construit sur une équation si solide qu’un enfant la comprendrait: pas de salut sans croissance, pas de croissance sans énergie, pas d’énergie sans un apport conséquent de la filière nucléaire.

Les Verts devront donc se battre avec la dernière…énergie, s’ils entendent imposer leur feuille de route express. Les pro-nucléaires ont beau jeu de soutenir, non sans vraisemblance, que le remplacement du nucléaire par le renouvelable, c’est plus facile à dire qu’à faire. Et que les estimations du Conseil fédéral, concernant le potentiel notamment de l’éolien, de la biomasse et du voltaïque, sont sans doute trop optimistes.

La co-présidente des Verts Adèle Thorens, tout sauf une tête irradiée, ne veut pourtant pas croire au retour dans le jeu du nucléaire et de ses apôtres. D’autant moins que pour elle, même sans l’onde de choc Fukushima, le nucléaire se serait condamné de lui-même, «technologie obsolète» et constituant «un véritable désastre économique».

En face pourtant on ne désarme pas et déjà on ose tout, y compris minimiser Fukushima. Tel le fameux Hans Blix, ancien directeur général de l’Agence internationale atomique, dans la préface à un livre opportunément intitulé «Nucléaires: relançons le débat» (Editions Favre) et dû à la plume de Bruno Pellaud, ancien patron, lui, du forum nucléaire suisse. Tranquillement, Blix ramène Fukushima à une simple «négligence surprenante de la part d’une grande entreprise japonaise», qui aurait à la fois «sous-estimé la probabilité d’un tsunami» mais surtout ignoré «depuis des décennies les mesures techniques qui étaient disponibles pour protéger ces centrales».

Blix est ainsi formel: après Fukushima le monde continue et continuera de faire confiance au nucléaire, ou plutôt «en matière énergétique à un bouquet multicolore de moyens de production qui comprend le nucléaire». Vu comme ça, même les poètes n’ont plus qu’à s’incliner.

Il faut dire que Blix est suédois et que les Suédois ont bien de la chance: le résultat des référendums populaires chez eux n’engagent pas le gouvernement. Le peuple en 1980 s’était prononcé pour la sortie du nucléaire dans un horizon de 30 ans. En 2010 pourtant rien ne s’est passé et les centrales continuent de fournir au pays la moitié de son électricité.

En Suisse c’est une autre paire de manches évidemment et la virulence du débat sera d’autant plus électrique qu’acceptée, l’initiative des Verts forcerait le Conseil fédéral à tenir illico sa vague et précipitée promesse d’abandon de l’atome. Ne lui reste qu’à brûler un cierge pour que les tenants du retour à la bougie ne l’emportent pas.