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Cadres supérieurs et requérants: les grands discriminés de l’embauche

Martine Brunschwig Graf et la commission contre le racisme s’inquiètent du mauvais sort réservé aux étrangers surdiplômés chez nous. Tandis que la socialiste Cesla Amarelle veut mettre au boulot les demandeurs d’asile. A chacun sa lutte contre la xénophobie.

Il s’agit évidemment d’un mauvais coup contre les bonnes idées reçues: les vilaines multinationales qui apparaissent soudain en employeurs modèles. Plus respectueuses en tout cas de la diversité, moins enclines à la discrimination que, par exemple, nos héroïques PME, tant aimées pourtant des discours politiciens. Ou même que les impartiales administrations publiques.

Pire, si l’on peut dire: les multinationales en ce domaine font mieux aussi que les ONG, les institutions sociales, les oeuvres d’entraides.

C’est en tout cas la Commission fédérale contre racisme (CFR) — qui semble avoir curieusement peu d’autres chats à fouetter — qui le dit, à travers une étude commandée à l’Université de Bâle. En dehors des multinationales, les étrangers hautement qualifiés connaîtraient donc une sérieuse discrimination à l’embauche. Deux fois plus qualifiés, résume l’étude, mais deux fois plus touchés par le chômage que les Suisses.

Et alors? diront les têtes de linotte. L’industrie et l’économie de ce pays ont-elles vraiment vocation à favoriser la carrière de hauts cadres étrangers? La présidente de la CFR, Martine Brunschwig Graf, semble pourtant le penser, en inversant simplement la perspective: «Leur intégration est dans l’intérêt de toute la société.» Et prescrit donc des procédures d’engagement anonymes pour que les surdiplômés venus d’ailleurs décrochent au moins des entretiens d’embauche.

Ce qui évidemment ne manquera pas de susciter d’autres interrogations. Comme de savoir ce qui doit primer: l’intérêt global, mais bien abstrait, du pays, ou celui, plus concret, de ses nationaux? Pour le bien de la Suisse, faut-il que les Suisses hautement qualifiés soient mis en concurrence parfaitement loyale avec leurs homologues étrangers?

Avec en ligne de mire une société à strates évoquée par l’étude bâloise: une Suisse professionnelle à trois couches, avec les étrangers surdiplômés tout en haut, les Suisses au milieu, dans l’inconfortable position du sandwich, et tout en bas, à nouveau, des étrangers. Mais moins qualifiés, ceux-là, et même souvent pas qualifiés du tout, et soudain moins allemands, moins français et nettement plus balkaniques ou portugais.

Les mauvaises langues diront que cet intérêt soudain de la Commission contre le racisme pour le haut du panier, pour le sort des cadres étrangers, pour ce qu’on pourrait appeler désormais la discrimination des cols blancs, devrait beaucoup à la personnalité de sa présidente. Politicienne respectée s’il en fut, Martine Brunschwig Graf n’a jamais fait mystère de convictions très connotées: quand elle parle de l’intérêt de la société, on serait tenté de comprendre plutôt, et plus restrictivement, de la place économique et financière. Même si bien sûr il paraît difficile d’imaginer une société florissante au milieu d’un champ de banques et de multinationales en ruines.

Dans un pays, de toute façon, comptant 22% de ressortissants étrangers, chacun dispose du privilège de voir la xénophobie et la discrimination là où ses principes et son idéologie les lui montrent. La nouvelle vice-présidente des Femmes socialistes, la conseillère nationale Cesla Amarelle semble ainsi prête à rajouter une quatrième couche au gâteau de la Suisse laborieuse: celle des demandeurs d’asile, qu’il faudrait fissa mettre au boulot.

Dans cette idée d’autoriser le travail des requérants, la vaudoise veut d’ailleurs voir la solution miraculeuse à l’insoluble question de l’asile. Que les besoins existent dans certains secteurs, l’existence de clandestins déjà au travail le prouverait. Mais pour cela, il faudrait «mettre un terme au principe de la migration d’élite instaurée en 2003». Et cesser ainsi de penser qu’un «Indien devrait être forcément bac+20 pour venir travailler en Suisse».

Surtout qu’un Indien à bac +20 irait méchamment concurrencer nos déjà malheureux cadres supérieurs français ou allemands.