Les tentatives de supprimer les forfaits fiscaux et de mettre tous les requérants à l’aide d’urgence ne cachent-elles pas notre incapacité à supporter aussi bien la richesse que la pauvreté?
Les étrangers, c’est bien connu, ne sont là que pour causer des problèmes. Empoisonner la vie bien réglée de l’autochtone. Tous, tant qu’ils sont.
La preuve: on ne sait plus quoi faire avec des gens aussi différents que les exilés fiscaux et les requérants d’asile. Des gens qui d’ordinaire se fréquentent peu, partent rarement en vacances ensemble et parviennent pourtant à enflammer tout pareillement la classe politique. Même si ceux qui prennent feu pour les uns seraient plutôt d’avis de doucher les autres, et vice-versa.
Les pays d’origine en plus s’arrangent comme à plaisir pour compliquer la tâche de nos malheureux élus. Aux riches ils ne pardonnent pas d’être partis — «rendez les nous!» — et des requérants ils ne veulent plus entendre parler — «gardez-les!». Le tout proclamé non sans une certaine agressivité, pour les uns, une joie mauvaise s’agissant des autres.
On en viendrait vite à les détester un peu, ces gens-là, n’est-ce pas. Surtout qu’en arrière fond, le nœud, c’est évidemment, c’est toujours, l’argent. Rien de plus efficace pour éveiller les vaines jalousies. De l’argent, aux uns on n’en prendrait pas assez, aux autres on en donnerait trop.
La Confédération et les cantons s’agitent donc pour tenter ici de mettre tous les requérants au régime sec, tout le monde à l’aide sociale d’urgence, le dernier échelon avant la mendicité, et là pour supprimer les odieux forfaits fiscaux. Ou du moins relever les plafonds d’imposition, histoire de les rendre un poil moins indécents.
Comme l’exemple, exhumé dans la presse, de cet exilé français, avec un médiocre revenu annuel de 900’000 francs, qui payerait chez lui 600’000 francs d’impôt, contre 48’000 en Valais. Un canton dont le sens admirable de l’hospitalité, c’est sûr, n’est plus à vanter.
C’est ainsi, à propos des requérants, que l’UDC glaronnais This Jenny a dit sa colère. S’est offusqué de constater que certains étaient «parfois mieux habillés» que lui, un conseiller aux Etats, imaginez ça. Et poussaient l’insolence jusqu’à se pavaner «en blouson de cuir tout neuf». Sans parler, évidemment des téléphones portables. Tout en vivant dans des centres dont les standards comme chacun sait s’apparentent tout aussi souvent à des «cliniques privées».
A l’inverse la socialiste Susanne Leutenegger Oberholzer dénonce un autre genre d’insoutenable état de fait: «Avec l’imposition forfaitaire Michael Schumacher ne paie que 10% de ce qu’il devrait payer s’il était soumis à l’imposition ordinaire.» D’autant plus affreux que c’est ici un principe sacré qu’on foule aux pieds, comme l’a rappelé la jivaro Ada Marra: «Le forfait fiscal viole le principe conditionnel de l’égalité devant l’impôt». Et dame Susanne en a remis une couche, vitupérant contre «un régime arbitraire».
Outre le léger voile de xénophobie tacite mais aisément décelable derrière ces diatribes, on pourrait tout aussi sûrement y constater la même haine à la fois de la pauvreté et de la richesse, toutes deux perçues comme des sortes d’indécences et d’injustices, chacune à leur manière. Salauds de pauvres, enfoirés de riches. Tous profiteurs, tous égoïstes.
Le modèle qui se profile en arrière fond, en statue de la décence et de la justice, semble donc être celui, modeste, et tellement anonyme, du salarié moyen ou du petit indépendant. Du citoyen ordinaire, que personne ne remarque et qui n’offusque et n’agace personne.
En parvenant à choquer tout également, requérants d’asile et exilés fiscaux, main dans la main, nous renvoient notre stupéfiante incapacité à tolérer l’exceptionnel. Qu’il apparaisse sous le traits d’un déserteur érythréen, ou d’un champion de Formule 1.