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La ponctualité des CFF, ciment national

Des trains qui arrivent en retard, et c’est la Suisse qui vacille. Devenue valeur nationale, la ponctualité atteint un niveau remarquable sans jamais satisfaire des usagers de plus en plus exigeants.

«Mesdames et messieurs, nous arrivons à l’heure en gare, sur voie 6!». Va-t-on se mettre à applaudir dans les trains comme cela s’entend dans certains charters?

Introduits en 2010, les messages relevant la ponctualité d’un convoi sont communiqués non par des messages préenregistrés mais par les contrôleurs. La bonne nouvelle, annoncée laconiquement ou en fanfare, suscite des sourires perplexes sur le visage des passagers étrangers. Un best of de ces communications débitées avec des accents «authentiques» nous plongerait dans un comique digne des sketches de l’humoriste Emile.

Le conseiller aux Etats genevois Robert Cramer est intervenu sans succès pour que «cessent ces annonces maladroites de nature à discréditer les CFF». Selon le politicien, «ces annonces sont perçues comme ridicules et portent atteinte à la réputation de ponctualité de notre pays. En effet, il est normal qu’un train, suisse de surcroît, arrive à l’heure!»

Quand parle-t-on d’un retard? La grande régie fédérale considère que la ponctualité a été respectée lorsque les voyageurs atteignent leur correspondance et arrivent à destination avec moins de trois minutes de retard. Ce qui correspond aux critères les plus stricts à l’échelle européenne. En janvier dernier, par exemple, 92,7% des trains sont arrivés à l’heure à Saint- Gall, qui détient le meilleur résultat, contre 80,4% seulement à Bellinzone, en queue de liste, 91,1% à Lausanne et 87,9% à Genève. Neuf clients sur dix arrivent à destination à l’heure et 97,5% des correspondances sur le réseau ferroviaire sont assurées.

Des chiffres qui placent la Suisse largement au-dessus de la moyenne en comparaison internationale. En France, ce sont 88% des trains qui sont arrivés à destination avec moins de cinq minutes de retard en 2011 (ce délai de cinq minutes correspond à la norme de l’Union internationale des chemins de fer). Au Japon, la légende prétend que si un train arrive en retard, c’est qu’il y a eu un tremblement de terre. Afin de ne pas avoir à subir un retard mais pouvoir l’anticiper, l’horaire en ligne et l’horaire pour téléphones mobiles des CFF contiennent des informations en temps réel. Il est possible d’y voir immédiatement les heures de départ et d’arrivée effectives. Une alarme SMS peut aussi être reçue. Fini les mauvaises surprises, tout peut être planifié.

Sans une grande vigilance, les retards pourraient se multiplier en Suisse. En effet, les ennemis de la ponctualité y sont nombreux. Relevons les principaux d’entre eux: l’extrême densité du réseau (3000 km de voies et 800 gares) avec un nœud redoutable à Olten, le nombre très élevé de passagers (près d’1 million par jour) et un contexte naturel défavorable avec d’innombrables ponts et tunnels et des infrastructures exposées à des chutes d’arbres, de pierres ou des avalanches. Mieux lotis que certains de leurs voisins, les CFF ne subissent pas de grèves du personnel.

Les conducteurs en retard sont en revanche leur cauchemar. Il suffit que l’un des quelque 2500 mécaniciens n’entende pas son réveil ou se trompe dans ses horaires pour perturber tout le réseau. Raison pour laquelle une soixantaine de conducteurs sont engagés comme réserve. Malgré ces précautions, chaque jour des trains accusent des retards pour cette raison. Un exemple qui révèle un manque de personnel aux yeux du Syndicat suisse des mécaniciens de locomotive. Alors que la ponctualité des trains atteint des sommets, l’entreprise ferroviaire n’a jamais eu à traiter autant de dossiers de clients mécontents qu’en 2011. Les Suisses se sont mis à railler une pseudo ponctualité et à se poser en victimes. Les octrois de dédommagements et plaintes des passagers ont été en augmentation de 30% l’an dernier. Coût: 2,2 millions de francs.

Dans le but de créer un réseau ferré plus intelligent, les CFF ont fait appel à IBM et Alcatel-Lucent pour améliorer la ponctualité des trains. La solution informatique choisie permet de «détecter et de réparer plus de 50% des problèmes relatifs à des retards avant même qu’ils ne se produisent», explique Alcatel-Lucent. Une hausse sensible de la satisfaction des voyageurs devrait en découler prochainement.

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Gare au départ!

Tout le monde sait que l’aiguille des secondes, sur l’horloge des CFF, fait référence à la palette rouge d’un chef de gare, visible loin à la ronde. Mais c’est aussi par souci de précision que le designer Hans Hilfiker a choisi cette forme: son tour de cadran ne durant pas soixante secondes, mais environ cinquante-huit secondes, une aiguille en pointe aurait été trompeuse.

La relative imprécision du disque rouge constitue dès lors un gage d’honnêteté envers les usagers du train. D’autant que cette aiguille des secondes tourne en mode autonome, à travers un petit moteur électrique branché sur le réseau. Seule l’aiguille des minutes, qui fonctionne par à-coups, est actionnée par une commande centrale synchronisant toutes les horloges de chaque gare. Afin d’éviter les décalages, qui pourraient entraîner des conséquences graves, chaque aiguille des secondes doit ainsi attendre au zénith l’impulsion de l’indicateur central des minutes avant de reprendre sa course autour du cadran.

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Pour cause d’accident de personne…

Un coup de frein. Le train s’immobilise. De longues minutes s’écoulent. Puis, le contrôleur annonce: «Pour cause d’ac­cident de personne, nous allons rester immobilisés pour une durée indéterminée.» Depuis 2005, lorsqu’une personne s’est jetée sous le train, les CFF utilisent la formule pudique «accident de personne» qui remplace «incident d’exploitation». «Il faut appeler un chat un chat, explique Jacques Zulauf, porte-parole des CFF. En faisant passer les suicides pour des incidents d’exploitation, nous passions pour des incompétents. Parler d’«accident» tout court aurait pu inquiéter, en faisant craindre un déraillement.» Les usagers du rail en font l’expérience. Il n’est pas de semaine qui ne connaisse des retards dus à des accidents de ce genre. Leur nombre, relativement stable, se situe autour de la centaine par an.

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Trois questions à Sacha Varone
Professeur à la Haute école de gestion HEG Genève, sur l’horaire parfait.

Comment conçoit-on un horaire le plus précisément possible?
La première étape consiste à identifier les personnes et les tâches. Ensuite il faut intégrer les contraintes de chaque secteur. Dans le cas d’une école, on se conformera au cadre horaire de chaque formation, on prendra en compte le matériel spécifique à certains cours, les disponibilités des enseignants, les demandes de compacité d’horaire, etc. On utilise ensuite des techniques algorithmiques pour construire un horaire adéquat. Il s’agit toujours de différencier les contraintes impératives des contraintes préférentielles, les préférences des individus. Ces dernières ne peuvent jamais être satisfaites à 100% en raison de préférences engendrant des impossibilités.

L’horaire parfait est donc impossible à réaliser…
L’horaire parfait est utopique pour plusieurs raisons: les objectifs et les préférences des usagers sont souvent contradictoires. Prenez, par exemple, les CFF, les envies du personnel ne correspondent pas toujours aux besoins des voyageurs. Ensuite, il faut différencier l’horaire planifié de l’horaire opérationnel. Le premier est un idéal et le second est celui qui se déroule en temps réel. Pour reprendre l’exemple des CFF, l’horaire planifié est celui affiché en jaune dans les gares, il correspond à un plan de gestion mathématiquement idéal. L’horaire opérationnel est celui qui doit constamment être adapté en raison de problèmes techniques, de retards des trains internationaux. Il doit être réoptimisé car de petits éléments perturbateurs peuvent se propager et générer des problèmes sur l’ensemble du réseau, s’ils ne sont pas pris en compte rapidement.

Qu’est-ce qu’un bon horaire?
Un bon horaire doit satisfaire les contraintes impératives et le plus possible de préférences. Il contien­dra toujours de la subjectivité. On peut modéliser mathématiquement les préférences humaines, mais la décision sera managériale. L’établissement des horaires est plus complexe qu’il y a vingt ans. En entreprise, ils intègrent le bien-être des employés, et pas seulement le respect du temps de repos. Ils tentent d’améliorer la motivation en diversifiant les tâches. De plus en plus, les modèles sont stochastiques, c’est-à-dire qu’ils incluent le hasard: avant on comptait que l’écriture d’un rapport prenait trois heures. Maintenant on évalue la probabilité que cette tâche prenne deux, trois, quatre heures ou plus. Etablir des horaires requiert des compétences, informatiques, mathématiques, décisionnelles, mais surtout de l’expérience.
Propos recueillis par Geneviève Ruiz

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Une version de cet article est parue dans la revue Hémisphères (no 3).