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On arrive bientôt?

Pour estimer les temps de marche, les Suisses disposent d’une formule très compliquée, contestée depuis peu par un mathématicien allemand qui propose un modèle plus simple. Histoire.

«C’est encore loin?», «Avance, tu verras bien!», «Mais on devrait déjà être arrivés depuis longtemps.» Qui n’a jamais été témoin de pareils échanges? Des dialogues de ce genre, les cailloux des sentiers en enregistrent à la pelle.

Ici, l’impatience d’un enfant à l’approche d’un refuge du Club alpin que l’on aperçoit — tout là haut — mais qui ne semble pas se rapprocher malgré les trois heures d’effort déjà fournies. En partant, il avait pourtant lu sur le panneau jaune qu’il fallait 2 heure 30 pour atteindre l’objectif. Or, de toute évidence, la famille allait mettre bien plus.

Satanées estimations auxquelles se fient les randonneurs! Que de parents obligés de ruser avec leurs chérubins démotivés, transformés en victimes, lorsque l’horaire n’est pas tenu! A l’opposé, que de sportifs fiers d’avoir «battu» le temps en question. En fait, rares sont les personnes qui parviennent à faire totalement fi des indications lues sur les balisages des sentiers pédestres. Horlogers dans l’âme, les Suisses poussent la précision là où on ne l’attend pas.

«Longtemps, l’estimation du temps de marche en montagne a été considérée comme un défi. En Suisse, au pays de la science de la randonnée, ce problème est enfin parfaitement solutionné grâce à une formule», a-t-on pu lire dans un article paru dans l’hebdomadaire allemand «Die Zeit».

Comme 18 des 26 cantons suisses, la région de la Forêt noire fait appel à «gowalk», un système informatique permettant de calculer avec exactitude les temps de marche en intégrant le modèle digital de Swisstopo DHM25.

Elle est bien révolue l’époque où l’on envoyait sur le terrain des marcheurs pour déterminer les indications qui allaient figurer sur les mythiques panneaux jaunes en caractères Astra Frutiger (40’000 exemplaires en Suisse sur les 60’000 kilomètres du réseau pédestre le plus dense du monde). Dans les Grisons, il s’agissait de courir pour parvenir à réaliser le temps prévu alors que dans l’Oberland bernois on pouvait lambiner quelque peu. Aujourd’hui, c’est une formule confiée à un ordinateur qui produit des résultats «fiables».

La formule, la voici: t_to = {L • [C0 + (C1 • S) + (C2 • S2) + (C3 • S3) + (C4 • S4) + (C5 • S5) + (C6 • S6) + (C7 • S7) + (C8 • S8) + (C9 • S9) + (C10 • S10) + (C11 • S11) + (C12 • S12) + (C13 • S13) + (C14 • S14) + (C15 • S15)]} / 1000. Pas toute simple! On y regardant de plus près, on découvre t_to qui est l’abréviation pour exprimer la durée du déplacement entre deux points, L qui exprime la distance horizontale, S, la dénivellation entre le départ et l’arrivée et 15 constantes C qui s’imposent pour des raisons mathématiques (exemple, C0 = 14,27, C1= 0,37, C2=0,03). Le tout formerait un polynôme très satisfaisant pour estimer la durée des randonnées. Seul inconvénient concédé par ses concepteurs, les parcours ne doivent pas comporter des pentes de plus de 40%.

Durant deux semaines, certains lecteurs du journal allemand ont considéré les Suisses comme de véritables Einstein du calcul des temps de marche. D’autres, en revanche, n’ont pas été convaincus. La rédaction a jugé utile d’inviter un mathématicien berlinois à donner son appréciation. «Je me demande si cette démarche est vraiment pensée sérieusement ou s’il s’agit d’une satire de l’exactitude exagérée des Suisses. En effet, c’est une formule extrêmement précise pour saisir un phénomène inexact. Une parabole ferait mieux l’affaire», déclare Günter Ziegler, auteur d’une formule beaucoup plus simple qui a l’avantage de pouvoir inclure les pentes de 40%.

Que l’on se rassure! L’honneur helvétique ne s’en trouve pas pour autant entaché. «Les Suisses n’ont jamais prétendu que leur formule était une merveille mathématique, elle remplit sa fonction et les fastidieux calculs peuvent de la sorte être confiés à un ordinateur», précise l’article.

Mais quel est l’apport réel de ces formules mathématiques pour le simple bipède? Leur apparence scientifique ne leur confère-t-elle pas une fiabilité usurpée? D’une part, elles demeurent incomplètes, malgré leur complexité, en omettant d’intégrer des éléments importants telle l’altitude moyenne de la randonnée, les conditions atmosphériques ou encore la forme du marcheur. D’autre part, elles laissent entendre que l’expérience humaine saurait être remplacée par une formule, alors que les guides de haute montagne savaient évaluer le temps de marche en compagnie de leurs clients avec une très grande précision, il y a plus d’un siècle déjà…