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De quoi les sifflets contre Couchepin sont-ils le grognement?

En parlant d’honneur, l’ancien Conseiller fédéral s’est fait huer comme une baderne. Par les partisans d’un homme qui incarne désormais le parfait politicien d’aujourd’hui, le candidat à tout prix. En un mot: le commandant Varone.

«Monsieur Varone, vous êtes un homme d’honneur…» On ne sait pas combien de fois dans sa carrière Pascal Couchepin s’est fait huer dans une arrière-salle de bistrot et trouvé empêché d’aller au bout d’une tirade. Ça ne doit pas faire beaucoup. «Si vous êtes condamné à une peine de prison, vous devez retirer votre candidature. Pour la crédibilité du PLR, du Conseil d’Etat, et pour l’honneur du Valais…»

C’est cela qui est intéressant: Pascal Couchepin a réussi l’autre soir à se faire huer en prononçant deux fois le mot honneur.

On peut penser qu’il s’agit là d’une coïncidence, que les partisans du désormais légendaire commandant Varone auraient sifflé n’importe qui venant dire n’importe quoi contre leur champion tout beau-tout blanc. Ou au contraire qu’il existe désormais certains mots, certains vieux mots pompeux et glorieux, qui ne passent plus au sein des microcosmes politiques. Des mots qu’on ne comprend plus, qu’on ne veut plus entendre et plus guère articulés que par des vieux messieurs d’un autre temps.

Au-delà du contexte particulier et régional — la désignation du candidat radical au Conseil d’Etat valaisan — et de la médiatisation inhabituelle d’un tel non-évènement en raison des évènements turcs que l’on sait, la vraie sensation est peut-être quand même bien là. Dans la conjonction du mot honneur et des sifflets venus d’une salle composée de gens supposés tout de même à peu près ordinaires et sensés — les délégués du parti radical valaisan.

Pour de basses questions de politicaillerie locale et en raison d’une certaine proximité idéologique, le PDC valaisan aime beaucoup le très croyant et finalement assez peu radical commandant Varone, issu des rangs du petit parti libéral. Christophe Darbellay ainsi, avec le culot qu’on lui connait, tombe le masque. En déclarant, avec une franchise elle moins habituelle, que ces sifflets, le sieur Couchepin «les a bien cherchés».

Vous parlez d’honneur, vous en appelez à l’honneur, vous vous faites huer et vous l’auriez cherché? Voilà qui peut sembler plus digne d’une province nord-coréenne que d’un canton suisse, fut-il alpin et fier de l’être.

Et quelle farfelue raison Christophe Darbellay, tout de même président du PDC suisse, donne-t-il à son grossier «il l’a bien cherché»? «Quand on a été président de la Confédération, on ne descend pas ainsi dans l’arène.» On ne voit pas bien pourtant ce qui pourrait justifier le port ad aeternam d’un tel bâillon, surtout lorsqu’il s’agit de rappeler une évidence: que l’honneur en politique, il n’est pas forcément interdit d’y songer et qu’on peut même parfois sans trop de danger en tenir un peu compte.

Mais Christophe Darbellay est-peut-être bien déjà un de ces hommes d’après. Un de ces politiciens post-couchepinien qui estiment que peu importe le comportement d’un élu et encore moins d’un candidat. Peu importent les entorses à la loi (turque en plus, c’est dire), peu importe la maladresse, la tendance au déni, les erreurs crasses de jugement, les petits mensonges comme les grands arrangements.

Peu importe donc l’honneur, vieille notion abstraite: ce qui compte désormais ce serait l’inverse, ou à peu près. L’intérêt bien réel, bien concret par exemple d’une bulle partisane, d’un petit clan, ou l’ambition palpable et obsessionnelle d’un seul homme. En l’occurrence d’un homme qui se présentait au contraire en sauveur appelé comme malgré lui, par la seule volonté populaire et au nom de beaux et grands principes, à faire barrage à l’immonde. A terrasser en un mot la bête Freysinger.

La leçon des tribulations du commandant Varone et de leur stupéfiante conclusion — les sifflets contre le vieux Couchepin –, c’est peut-être qu’à force de s’asseoir sur l’honneur, on se retrouve vite dans de méchantes petites impasses. Que sans principe, les candidats à tout prix enferment vite l’électeur dans des apories douloureuses. En l’occurrence l’électeur valaisan, mais ça aurait pu être n’importe quel autre, tellement le commandant Varone apparaît désormais comme un politicien moderne, ordinaire, comme il y en a tant sous toutes les latitudes, prêts pour se faire élire à compter, s’il le faut, sur une prime à la casserole. Voilà donc l’électeur valaisan dans la jolie perspective de choisir entre le clown et le petit monsieur. Entre le déficit de raison et le manque d’honneur.