LATITUDES

Ravussin, Moby-Duck et les conteneurs

Chaque jour, des conteneurs tombent à la mer. Certains endommagent les coques de navires, d’autres s’éventrent et abandonnent des milliers de petits canards au milieu de l’océan. Histoire.

Le marin vaudois Stève Ravussin n’a pu terminer la «Krys Ocean Race» qui reliait New York à Brest, au mois de juillet dernier. Moins de vingt-quatre heures après le départ de l’épreuve, alors que son trimaran occupait la première place du classement, le malchanceux a heurté un OFNI (acronyme utilisé dans la marine signifiant objet flottant non identifié) indétectable au radar.

Ce conteneur flottant entre deux eaux, c’est-à-dire légèrement en dessous de la surface, a endommagé la dérive et la coque de son embarcation.

«Trois ans de travail et tout s’arrête un jour après le départ, dans un container», a soupiré le Vaudois. Il s’estime néanmoins s’en être tiré à bon compte grâce à la solidité de son trimaran. «C’est un miracle. Taper à 50 km/h dans un mur avec un bras de levier de plusieurs mètres aurait pu être catastrophique avec un autre bateau.»

Des containers, il en tombe des quantités à l’eau. Environ 200 chaque année au large des seules côtes françaises. Ils constituent un danger pour la navigation et une source de pollution possible. Des études tentent de modéliser leur dérive.

Symboles de la globalisation, les millions de conteneurs en circulation dans le monde participent aux échanges commerciaux. Les supers porte-conteneurs peuvent emporter jusqu’à 18’000 «boîtes». Plus de 80% des échanges mondiaux sont réalisés par voie maritime.

A chaque époque ses «terreurs marines»! Les conteneurs à la dérive sont autant de «terreurs» qui hantent les mers; des «fantômes» que le marin peine à repérer et tente d’éviter, que l’homme à terre s’efforce de suivre et de signaler, et que le juriste souhaite vêtir d’un régime juridique.

Les conteneurs tombés à la mer constituent des obstacles nouveaux. Quelque 15’000 d’entre eux passent par dessus bord chaque année, estime Grégory Martin-Dit-Neuveville, auteur d’un travail intitulé «Les conteneurs tombés à la mer».

Stève Ravussin ne connaît pas la nature du contenu du container qui se trouvait sur sa trajectoire. Si sa mésaventure a suscité quelques articles dans la presse, il est un conteneur qui, à lui seul, a donné naissance à quantité de reportages, études et même à des oeuvres littéraires.

Le 10 janvier 1992, suite à une tempête, douze conteneurs tombaient de l’«Ever Laurel», un cargo parti le 6 janvier de Hong Kong à destination de Tacoma, sur la côte Est des Etats-Unis. L’un d’entre eux va dès lors attirer l’attention du monde scientifique. Endommagé, il a permis à 28’000 jouets en plastique de se faire la malle. Parmi eux, une majorité de petits canards jaunes destinés à flotter non sur les vastes océans mais à la surface de baignoires américaines.

Entraînés par le Gulf Stream, ces canards se sont dirigés vers l’Alaska, les côtes anglaises, mais aussi l’Australie ou l’Amérique du Sud. Du pain béni pour les océanographes qui ont suivi leur épopée pour étudier les courants. Devenus objets cultes, ces «rubber duckies» délavés s’échangent aujourd’hui sur internet..

La lecture de «Moby-Duck» m’a fascinée. Après le Capitaine Achab en quête de Moby Dick, voici Donovan Hohn, un essayiste américain, en quête des Moby-Ducks. Son ouvrage consacré à la dérive de ces canards est une épopée captivante, c’est l’Odyssée du XXIe siècle qu’il nous conte.

Un livre à même de titiller l’imagination des vacanciers tardifs, allongés sur le sable chaud, à regarder passer au loin des porte-conteneurs…